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Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 133.djvu/792

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reproche de froideur qu’on leur adressait dès l’antiquité ; qu’il faut tenir compte des dates et reconnaître comment l’auteur a corrigé son invention, comment il en a varié les formes et augmenté l’intérêt. De cette apologie, peut-être un peu complaisante, il y a à retenir que, même là où les défauts paraissent le plus évidens, Euripide par sa souplesse et son ingéniosité échappe aux jugemens absolus.

A plus forte raison nous abstiendrons-nous de juger d’un mot la poésie d’Euripide ; grand sujet, très complexe et inégalement mais toujours difficile, qui ne peut se traiter véritablement que par le détail et le texte sous les yeux. Il est clair que des deux parties dont se compose la poésie chez un tragique grec, la partie iambique et la partie lyrique, la première, qui comprend tout ce qui n’est pas chanté, c’est-à-dire presque tous les dialogues et les récits, est de beaucoup la plus accessible à notre appréciation. Mais déjà que de choses qu’il est délicat d’apprécier ! D’abord le mouvement de pensée et d’imagination qui fait le poète, et puis le style, et en même temps la langue, et la technique des vers : voilà de quoi occuper le savoir et l’intelligence du critique. Pour Euripide en particulier, on peut, en le rapprochant d’Eschyle et de Sophocle, remarquer qu’il parle une langue plus simple, plus fluide, plus souple, plus appropriée aux inflexions d’une pensée souvent délicate et subtile, qu’il vaut plus, dans les plus beaux endroits, par élégance et la grâce que par la force et la grandeur ; mais comme ces généralités sont insuffisantes ! combien de passages, de vers ou d’expressions restent en dehors et demanderaient un jugement moins sommaire !

Pour la partie lyrique, les difficultés sont évidemment bien plus grandes. L’art d’Euripide, d’une inspiration moins haute et moins puissante, qui n’est pas toujours exempt d’afféterie, s’y était montré singulièrement ingénieux et varié. Il serait trop long de le prouver par un examen détaillé et par des analyses. Le plus important serait peut-être de se représenter, — ce qu’on ne fait pas ordinairement, — combien le poète subit l’influence du mouvement musical qui alors transformait le dithyrambe. Aristophane lui adresse en partie les mêmes critiques qu’aux dithyrambiques contemporains. Non seulement, dans la poésie, l’abus des nuages. du vol des oiseaux et des rêveries banales sur la nature, mais, dans la musique, l’emploi des modulations molles, des trilles, des petits procédés et des petits effets sont blâmés et parodiés chez l’un comme chez les autres. De là, dans un système dramatique dont les pièces ont, pour ainsi dire, moins de consistance et de cohésion, la liberté avec laquelle sont composés les chants du chœur. Si Euripide n’en fait pas encore, comme Agathon, des intermèdes