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Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 133.djvu/862

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ses fleurs. « Je veux, dit-elle, déjeuner aujourd’hui à votre table, afin de vous dédommager de vos chagrins. — Madame, je n’ai souffert aucune peine par vous, mais j’en ai reçu un bien infini, car, tout ce que je vaux, je le dois à votre grâce et à l’amour que je vous ai voué. » Il court à la maison pour apprêter le repas. Mais le foyer était froid, le buffet vide, et point d’argent pour acheter de quoi manger. Ses yeux tombent sur le faucon, « seule nourriture digne d’une telle dame. » Il lui tord le cou, le donne à plumer et à rôtir à sa servante. Quand la blanche nappe est mise sur la table, il revient, le visage joyeux, à Giovanna qu’il conduit au triste festin. Le déjeuner fini, avec de longs détours, elle demande à Frédéric l’oiseau qui seul peut rendre la vie à son fils. « Hélas ! madame, vous l’avez mangé ! Je n’avais aucun mets plus précieux à vous servir ! » La veuve, touchée d’une telle preuve d’amour en une détresse si grande, s’en retourna à sa villa « toute mélancolique ». Et le petit mourut quelques jours plus tard. Giovanna dit alors à ses frères : « S’il vous plaît que je prenne un second mari, je n’en veux d’autre que Frederigo degli Alberighi. — Il est trop pauvre, » disent les frères. Elle leur répond par une grave maxime qu’inventa jadis Périclès, et ils donnent leur consentement. Ce fut une heureuse union. Mais c’est vraiment dommage que la jeune femme n’ait point demandé une heure plus tôt au cavalier l’oiseau qui eût sauvé le pauvre enfant.

Voici un gentilhomme qui recherche en amour de bien curieux raffinemens. Gualtieri, marquis de Saluces, avait longtemps préféré la chasse au mariage. Ses vassaux, désireux d’avoir un marchesino, le priaient en vain de prendre femme. Il finit par céder à leurs vœux et choisit une pauvre bergère, très belle, fille de Giannucolo, paysan du voisinage, nommée Griselda (Grisélidis), à qui il fait promettre d’abord de lui obéir aveuglément en toutes choses et de ne se troubler pour aucun des caprices de son mari. Les noces furent magnifiques, « dignes d’une fille du roi de France. » Griselda, dont l’âme et l’esprit étaient d’une rare valeur, ne tarda pas à paraître marquise incomparable, « et si docile à son mari, que celui-ci se tenait pour l’homme le plus heureux du monde. » Elle lui donne bientôt une fille. Alors commence pour elle une série d’épreuves bien cruelles. Gualtieri lui enlève l’enfant ; il annonce qu’une fille ne pouvant gouverner après lui son domaine, il doit la faire mourir. La petite, portée à Bologne, est élevée secrètement, tandis que la mère la croit véritablement morte. Griselda met au monde un fils. Même comédie féroce. Le petit-fils d’un paysan est indigne du marquisat ; on l’arrache à sa mère qui ne doute point qu’il ne soit à son tour massacré. Le marquis envoie le jeune garçon rejoindre sa sœur en