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mer. Il faut, dit-il, au dernier quartier de la lune, qu’elle se baigne nue, toute seule, sept fois de suite, en un courant d’eau vive, tenant en main une image d’étain représentant l’amoureux fugitif ; puis, toujours nue, grimper en haut d’un arbre ou sur le toit d’une maison, et se tourner à sept reprises, avec l’image, du côté du nord, en prononçant une incantation qu’il lui livrera écrite : à peine la formule aura-t-elle été dite que deux demoiselles « les plus belles qu’elle aura jamais vues », viendront la saluer et lui offrir leurs services surnaturels. Elle leur demandera l’amant disparu. Et la nuit d’après, vers minuit, l’enfant prodigue, tout en pleurs, frappera humblement à sa porte et ne l’abandonnera plus jamais.

Or, Hélène possède un bien dans le Val d’Arno, tout près du fleuve. Le théâtre du drame était ainsi trouvé. « Nous sommes en juillet, dit-elle, et le bain sera un plaisir délicieux. » Non loin de l’Arno est une vieille tour abandonnée, avec une échelle montant à la plate-forme du haut de laquelle les bergers veillent sur leurs chèvres errantes. Rinieri, tapi sous les saules du fleuve, voit Hélène se dépouiller de ses vêtemens qu’elle cache en un buisson ; elle se plonge à sept reprises dans l’eau froide, puis elle passe lentement, dans les ténèbres, nue et blanche, l’image magique entre les mains, allant vers la tour. Un instant, le jeune homme se trouble et se sent saisi d’une grande pitié ; il est sur le point de transformer singulièrement le rite du sortilège et d’embrasser le charmant fantôme. Mais le ressentiment de l’injure est plus fort, dans l’âme de l’écolier italien, que l’attrait du plaisir. Il la laisse monter au sommet de la tour, la suit dans l’ombre et retire l’échelle sans être vu. Elle a beau prononcer les paroles enchantées, les demoiselles fantastiques ne descendent point vers elle. L’aurore paraît ; elle attend toujours ; elle soupçonne enfin la vendetta de Rinieri, se félicite d’avoir souffert d’un froid moins vif que celui de la veillée de décembre, et s’apprête à rentrer chez elle. Plus d’échelle ! « Alors, comme si le monde s’écroulait sous ses pieds, le cœur lui manqua et, vaincue, elle tomba sur la plate-forme de la tour. » Elle pleure de honte, de remords et de fureur, elle sent son honneur a jamais perdu ; elle sera la risée de Florence. Il fait grand jour déjà, et l’étudiant s’avance gaiement au pied de la tour. « Bonjour, madame, les demoiselles ne sont-elles point encore venues ? » Elle le supplie par sa loyauté de gentilhomme ; elle lui promet de céder à ses désirs ; elle est faible « telle qu’une colombe entre les serres d’un aigle », au nom du seigneur Dieu, qu’il ait miséricorde ! L’étudiant, qui l’entendait gémir et pleurer, avait au cœur à la fois plaisir et chagrin : plaisir, pour sa vengeance si longtemps désirée ; chagrin,