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Page:Revue des Deux Mondes - 1897 - tome 140.djvu/369

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autres. Pris aujourd’hui dans la communauté comme le moellon est pris dans le mur, la dette originelle de la commune envers l’État est une hypothèque sur son travail, un prélèvement sur son bien-être. Chef d’un dvor, il reçoit de trois en trois années, par tirage au sort, un lot de terre nouveau ; aucune sanction à trois étés d’effort ; le hasard du partage ajouté au caprice des saisons. Comme membre de cette famille russe qui est moins une association morale qu’un groupement économique, il subit la dure autorité du père. Dans une izba disjointe, la pluie suinte et le vent souffle : de même ici la nécessité ambiante se transmet jusqu’à l’intérieur du refuge familial ; les têtes qu’abrite un même toit sentent encore peser sur elles un collectivisme injuste et dominateur.

Ainsi, double dépendance, double irresponsabilité ; ainsi, d’une assiette communiste de la propriété à la possession personnelle du bien foncier toute cette distance reste à franchir avant que le paysan laboure son champ avec sa charrue et que dans ce sillon-là prenne enfin racine le mot flottant encore au vent comme une semence vaine, le beau mot de liberté. Ceux qui s’étonneront de la lenteur avec laquelle la Russie marche vers ce terme ignorent le temps qu’il faut communément aux idées avant de passer dans la vie ; ils oublient l’histoire de notre propre sol et, quant aux obstacles rencontrés ici par les réformateurs des années soixante, l’échec éprouvé par la Convention quand elle appliquait à un but semblable un moyen différent, la vente des biens nationaux.

Au surplus, d’autres obstacles venaient entraver encore le progrès de l’agriculture. La Russie, qui prenait rang tout à coup parmi des nations plus vieilles et plus riches songeait à fouiller son sous-sol pour remédier à sa pauvreté de surface ; elle s’accusait de n’avoir pas vécu encore son âge de fer. Dès lors, tout son effort tendait à réparer ce retard. En reprenant ici la comparaison célèbre de Sully, on pourrait écrire qu’agriculture avec industrie sont les mamelles de l’État moderne : on dirait la Russie pareille à ces amazones qui, pour des raisons militaires, brûlaient un de leurs seins. Elle appauvrit, elle sacrifie son agriculture. Elle lui fait porter la charge entière du budget. Elle lui impose deux fois celle du régime protectionniste, car d’une part l’étranger qui voit refuser son fer et ses produits manufacturés, élève une barrière à l’importation du blé russe, de l’autre les machines