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Page:Revue des Deux Mondes - 1897 - tome 140.djvu/919

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REVUE LITTÉRAIRE

M. PIERRE LOTI

Les amis de M. Pierre Loti n’étaient pas sans inquiétudes. Ils comptaient les années écoulées depuis le temps de Mon frère Yves et de Pêcheurs d’Islande; mais parmi les livres publiés par l’auteur au cours de ces années déjà nombreuses aucun ne leur avait rendu leurs impressions de jadis. Ils trouvaient dans ces livres trop de fragmens sans valeur, trop d’épisodes sans portée, trop de redites surtout, un abus de procédés qui revenaient toujours les mêmes, un étalage de sensibilité indiscrète, une prolixité fâcheuse qui se répandait en des séries de pages descriptives où la description était à elle-même son objet. Ils craignaient que le rêve de Loti ne se fût exprimé tout entier; ils en regardaient derrière eux déjà et dans le passé le lumineux sillage. C’était trop tôt s’affliger et c’était avoir mal compris la nature du talent de leur ami. Car l’écrivain à qui l’étude de nos mœurs fournit une matière jamais épuisée peut à la rigueur, et puisque nous le condamnons aux travaux forcés de la production régulière, nous donner bon an mal an ce qu’on est convenu d’appeler un roman nouveau. Mais M. Loti est un poète. Il faut du temps au poète pour rafraîchir et pour varier son inspiration. Pour accomplir sur lui-même ce lent travail presque inconscient, il a besoin de la méditation et du recueillement. Donc les livres aux beaux titres pleins de promesses qu’ils ne tenaient pas: Fantôme d’Orient, le Livre de la Pitié et de la Mort, le Désert, la Galilée, Jérusalem, n’étaient que pour occuper le tapis et maintenir le nom sur les catalogues. Cependant l’auteur se transformait peu à peu, et