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Ce qui parut d’abord en lui, ce fut une terrible et dévorante soif d’apprendre. Né en 1834, John Robert Seeley suivit les cours de la City of London School ; à treize ans, il était, je ne dirai pas avec le traducteur : « en sixième », ce qui donnerait au lecteur français une pauvre idée de sa précocité, mais dans « la sixième forme », qui correspond à la rhétorique. Cette éducation physique que reçoivent presque tous les jeunes Anglais, et dont quelques-uns abusent, il ne la connut pas. Son seul exercice, pendant des années, fut de suivre matin et soir le long trottoir de New Oxford Street et d’Holborn pour aller de la maison paternelle à la City School et de la City School à la maison paternelle. Sa santé s’altéra. Il fallut envoyer le petit Londonien anémique respirer les rudes brises de la mer du Nord, avec défense de toucher à un livre classique pendant un an. L’endroit choisi était Cromer. Dear old Cromer, comme l’appelaient, avec une lueur d’attendrissement dans les yeux, ceux que leur bonne fortune avait conduits dans cette solitude, jette ses vieilles rues, raides et sinueuses, dans un écroulement de la falaise, avec une si fantasque irrégularité, qu’on se perd dans ce petit village comme dans un labyrinthe. La tour de l’église, trapue et carrée, se remarque de loin en mer, car Cromer est situé au sommet d’un arc que forme la côte de Norfolk. Au solstice d’été, on y voit le soleil se lever et se coucher dans les eaux. Les longs crépuscules ont alors une douceur merveilleuse, une transparence étrange, pressentiment des jours sans fin du pôle. Ce lieu porte à méditer. Si nous savions le secret des rêveries du jeune Seeley sur la plage de Cromer, certains points importans de sa vie morale s’éclaireraient pour nous. Mais il n’était pas de ceux qui mettent leur âme dans un carnet et racontent leurs crises intérieures. Probablement le trottoir d’Holborn lui semblait plus suggestif, avec le spectacle de cet incessant et large courant d’humanité qui coule à pleins bords, quoique sans désordre, vers le centre universel des affaires et où la monade humaine noie sa chétive, mais indispensable unité.

Ce que nous savons, c’est qu’il revint à Londres plus altéré que jamais de latin et de grec. Deux tendances se disputaient son esprit. Autour de lui, l’atmosphère était saturée de pensées pieuses. Son père, journaliste, avait ardemment combattu pour la cause de la religion, sans éprouver jamais un trouble ni un doute. Cette influence chrétienne enveloppait l’enfant ; il crut avant de penser et, pour ainsi dire, avant d’être. D’autre part, le