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duc de Richelieu lui-même, que tous deux me trouveront toujours prêt, hors du ministère comme dedans, à faire tout ce qui sera utile au service de Votre Majesté et au succès de son gouvernement, auquel j’appartiendrai toujours de vœux et d’intentions, comme j’appartiendrai de cœur et d’âme à Votre Majesté tant que j’aurai une goutte de sang dans les veines. Du reste, je vais chez le duc de Richelieu pour lui donner une dernière preuve de l’abnégation de moi-même que j’apporterai toujours dans le service de Votre Majesté. »

Ainsi, la crise ministérielle virtuellement ouverte depuis le retour de Richelieu se prolongeait et s’aggravait en se prolongeant. C’est à travers la correspondance du Roi avec son favori qu’il convient d’en suivre les péripéties de ses débuts à son dénouement. Le 10 décembre, après avoir prononcé devant les Chambres le discours d’ouverture de la session, il écrivait à Decazes :

« Je suis bien content, mon cher fils, des nouvelles du nid. J’espère que tu l’as été de la façon dont le Roi a débité sa marchandise. J’ai certainement eu lieu de l’être du mouvement électrique qui s’est opéré. Tout cela a été beau. Mais, si c’est un triomphe, il ne ressemble pas trop à celui de Paul Emile. Richelieu est venu chez moi un peu avant la messe. Il m’a beaucoup parlé de mon Elie, mais en homme qui n’entend rien à sa position. Je n’ai pas osé la lui développer ; c’eût été en quelque sorte faire sa critique. Je lui ai seulement dit que ce n’est pas mon Elie qui quittait le ministère, mais le ministère qui le quittait. Il m’a dit qu’on ferait encore passer ton budget (le budget de la Police) et que ton ministère serait toujours utile comme sentinelle, car voilà le sens de son dire… Des deux côtés, je vois un abîme et ma seule incertitude est de savoir lequel des deux m’engloutira. »

Il résulte de cette lettre qu’à la date où elle a été écrite, Richelieu, résolu à conserver le pouvoir, non seulement tient encore à ne pas en éloigner Decazes, mais se prépare à le défendre, et qu’en revanche, le Roi doute quelque peu de l’énergie et de l’efficacité de sa résolution. Le 15 décembre, le Roi semble rassuré. Il ne voit ni ne pressent aucun péril. Dans son esprit soulagé, il y a place pour de la gaîté, ainsi qu’en témoigne le récit qu’il fait à Decazes de la visite que lui a rendue le Bureau de la Chambre des Pairs, composé presque en entier d’ultra-royalistes.