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« Le Bureau de la Chambre des Pairs, mon cher fils, est venu avant la messe. Le duc de Bellune était tout comme à l’ordinaire. Pastoret avait son visage de bois coutumier. Mais les deux autres avaient l’air de premiers prix, surtout Vérac. Le duc de Doudeauville avait pris les devans en m’écrivant une lettre que je te ferai voir[1]. Quand le chancelier me les a présentés, je ne les ai point, comme je le faisais dans d’autres temps, félicités sur leur nomination. Mais j’ai répondu que je recevrais toujours avec plaisir ce qui me viendrait de la Chambre des Pairs. Ensuite, j’ai parlé de la chaleur extrême qu’on dit qu’il faisait hier à la Chambre, de leur famille, enfin de choses équivalentes à la pluie et au beau temps et, au bout de cinq minutes, je les ai congédiés. J’ai peur que Pastoret, accoutumé à un autre régime, n’ait trouvé la séance un peu courte. Mais j’avais épuisé mon sac de lieux communs. »

Cette lettre, on le voit, ne trahit pas la même inquiétude que la précédente. Le Roi n’a pas encore reçu confirmation de la démission des ministres ; il espère éviter la crise. Mais, après le conseil du 17 décembre, elle éclate, et le ton de sa correspondance s’assombrit, surtout lorsque les efforts qu’il déploie pour retenir Richelieu échouent contre une résistance d’autant plus irritante que rien ne trahit encore à quelles conditions elle cessera.

« Tout est dit, mon cher fils, écrit-il le 22 décembre, je les ai vus tous les trois (Richelieu, Lainé et Molé) ; je n’ai rien gagné. En vain ai-je offert en ton nom, non seulement ta retraite, mais de bien plus grands sacrifices. On m’a répondu par des témoignages (que je crois sincères de la part de Richelieu), (J’estime, d’amitié pour toi. Mais le parti était pris. Demain, nous aurons encore conseil, à l’issue duquel je demanderai (c’est tout ce que j’ai pu gagner) pour la dernière fois au duc de Richelieu s’il faut envoyer chercher le prince de Talleyrand. Mon cher fils, ton père est bien malheureux. Mais il n’en sent que mieux à quel point il t’aime. »

C’est la nécessité de confier à Talleyrand, à défaut de Richelieu, la présidence du Conseil et la direction des Affaires étrangères, nécessité à laquelle il ne croit pas pouvoir se dérober, qui déchaîne dans l’âme du vieux Roi cette exaltation douloureuse.

  1. « La loyauté du duc de Doudeauville le porta à m’écrire que, si le choix qu’on avait fait de lui me déplaisait, il était prêt à refuser. Ne pas répondre, c’était lui dire d’accepter, et ce fut ce que je fis. » — Note du roi.