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Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 149.djvu/117

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toujours occupé, sur son tapis fleuri, à perpétuer son miracle. Ayant épuisé enfin ses virtuosités, le carillon s’arrête court, sur une note haute, dont la vibration se prolonge un instant dans l’air immobile et meurt.

Définitivement, la procession est rentrée : elle s’est évanouie au lieu où nous l’avons vue sortir, sous le porche d’entrée. Dans la chapelle, une dernière explosion de chants et un fracas d’orgue signalent l’achèvement de l’office. L’assistance s’écoule assez rapidement. Les sœurs reparaissent dans la cour, dispersées maintenant ; leur traîne relevée ballottant derrière elles en un ramas d’étoffes, le rosaire et le trousseau de clefs tintant à leur ceinture, elles s’en retournent chacune à la besogne journalière. Dans les salles, les malades se sont recouchés, avec cette lassitude un peu déçue qui succède aux joies longtemps attendues et trop vite passées ; plus d’un, sans doute, est ressaisi par le rêve haletant et vague, sans cesse interrompu et recommencé, qui hante les heures de fièvre. Près d’eux, les sœurs reprennent leur rôle de consolatrices, avec ces mots de prière et d’espoir qui n’ont pas varié ici depuis quatre siècles et demi, avec ces paroles berceuses, qui charment et dorlotent la souffrance.

Dans la cour qui se dépeuple de ses tapisseries, nous restons à regarder encore une fois les magnificences et les grâces de l’architecture, à interroger ce curieux monument, cet asile de malades qui est en même temps un gentil manoir. Que nous diront à la fin ces campaniles légers, ces tourelles élancées, ces pierres et ces ferrures aux tons éteints, ces choses antiques, usées, pâlies, qui semblent nous parler de très loin, en un murmure discret et pourtant perceptible ? Vont-elles nous dire au juste ce que furent les hommes créateurs de cette œuvre, depuis ses puissans fondateurs jusqu’aux humbles manœuvres qui l’embellirent en ses détails ; saurons-nous en quoi ils ont senti, pensé, souffert comme nous ou autrement que nous ; en quoi leur âme différait ou se rapprochait de la nôtre ?

Ce qui se révèle en eux d’abord, c’est une recherche continue et une patiente réalisation d’art ; c’est leur passion pour l’ornement et le décor, leur amour pour l’objet soigneusement et finement ouvré, de matière choisie et de probe travail. C’est aussi leur foi, seul frein qu’eussent alors la violence et la cupidité des âmes : en ces temps durs, souvent atroces, noirs de crimes et de misères, elle insinuait de tièdes rayons d’amour, suscitait des