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Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 149.djvu/118

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œuvres douces et des miracles de compassion. Cette foi qui se transformait en charité, on en retrouve partout ici la trace. Ils crurent vraiment, ceux dont les élans, dont les aspirations se traduisent autour de nous en figurations mystiques, en symboles, en oraisons de pierre, s’élevant à la fois inquiètes et confiantes vers un ciel accessible. Nulle révolte de la raison n’altérait leur simple et positive conception de l’au-delà ; leur esprit se mouvait dans les limites d’un horizon moins vaste que celui de notre siècle, mais moins vague, net et coloré, peuplé de certitudes tour à tour effrayantes ou secourables. Parmi les épouvantemens que faisait naître en eux l’obsession de l’autre vie, un espoir indomptable les soutenait, l’espoir en un Dieu attentif-à nos moindres actes, rémunérateur, miséricordieux, qui tiendrait toutes ses promesses, et ils goûtèrent l’ineffable jouissance d’un idéal précis. Leur dévotion n’en avait pas moins ses subtilités et faisait ses calculs ; ils entraient en compte avec le ciel, payaient aux pauvres ce qu’ils devaient à Dieu, essayaient même de le constituer leur débiteur et supputaient ce qu’il faudrait donner pour s’assurer sur lui des créances payables dans l’éternité. Ainsi peu à peu nous remontons dans leur pensée, nous en suivons les détours, nous en atteignons les complexités, jusqu’à ce qu’enfin, au-delà de ce que nous pouvons saisir et pénétrer d’eux, se rencontre l’infranchissable limite, l’obstacle qui ne nous permet jamais de comprendre tout l’esprit d’un siècle évanoui, de revivre sa vie, de nous assimiler pleinement ses idées, et qui mure dans leurs intimes profondeurs les âmes d’autrefois.

Tandis que ces réflexions nous absorbent, au-dessus de nos têtes, un roucoulement se fait entendre. Les pigeons du colombier, effarés de la fête, fuyant les cours envahies, s’étaient réfugiés au plus profond de leur asile. Maintenant, ils s’enhardissent à reparaître ; au bord de toutes les ouvertures, leurs petites têtes mobiles se montrent, semblent s’interroger, se consulter entre elles, et tenir un conseil d’oiseaux. Soudain, un glissement d’ailes passe devant nos yeux et traverse diagonalement l’espaça : il s’abat sur les dalles de la cour, et trois ou quatre pigeons, de leurs petits pas pressés et muets, égayent sans la troubler la solitude de ce lieu unique, retombé à sa paix charmante.


ALBERT VANDAL.