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Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 149.djvu/508

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502 REVUE DES DEUX MONDES. point de la quille touchait l’eau écumante. Des flocons ruisse- laient sur les visages de Cole et de Muergo et les mèches de sa crinière dégouttaient comme une broussaille après l’orage. Soudain André dit tout bas à Sotileza : — En cet endroit même, mon bateau a failli périr un soir, avec un vent comme celui d’aujourd’hui. — Et comment t’en es-tu tiré? — Une chaloupe qui venait par derrière m’a pris à bord et a remorqué mon bateau. Tous deux se turent de nouveau. Quand la barque se trouva en face de la Monja et près des premiers navires, André se reprit à dire, toujours tout bas : — Là, le Zf’phire fut retourné la quille en l’air par une rafale de vent d’aval. — Et toi? demanda Sotileza. — iMoi, je me soutins accroché à mon bateau, jusqu’à ce qu’un navire vînt me repêcher. Ce jour-là je me vis en fort mau- vais état, parce que j’avais coulé à fond et que de plus il faisait très froid. — Deux plongeons... c’est assez pour ton âge. — Deux ? Eh! j’en compte déjà sept!... Et plût à Dieu que ce fût le huitième aujourd’hui ! — En voilà un souhait, André ! — Il n’est pas si mauvais que tu penses, Sotileza, et je vou- drais me trouver... A ce moment ils furent inondés par une cascade qui sauta par- dessus bord, car la barque entrait dans un véritable défilé de na- vires à l’ancre où le vent était plus impétueux et les coups de mer plus violens. Oncle Mechelin, prévoyant ce que cela promet- tait pour plus loin, proposa à André de changer de direction pour aller débarquer à l’abri du Paredon du Môle-aux-Navires, au lieu de continuer jusqu’à celui de la rue Haute, comme le jeune homme le désirait. Ainsi fut fait, grâce à l’adresse magistrale de Mechelin, et au grand plaisir de tous. XVn. — LA NUIT DE CE JOUR-LA André dormit mal cette nuit-là, fort mal ! Dans son imprudent pas de clerc du bois d’Arabojo, il avait manqué à beaucoup de devoirs et commis beaucoup d’inconvenances à la fois.