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Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 149.djvu/533

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les effets du climat. Tout ce qu’on peut accorder d’abord, c’est que le ciel humide et froid de l’Angleterre a renforcé les influences qui font de l’acquisition d’un certain bien-être individuel le but le plus nécessaire pour tous. On a calculé que la nourriture d’un seul Anglais suffirait à une famille de huit personnes en Grèce. Il est des pays démens où, grâce au beau ciel, à la facilité de vivre, à la sobriété des besoins, la misère même n’a rien qui dégrade, ni au physique, ni au moral : le bien-être y étant en quelque sorte naturel, on a le temps d’être artiste. Il n’en saurait être de même sous un ciel glacé et brumeux, où les besoins sont grands, les chauds vêtemens nécessaires, où l’abri est difficile à se procurer, où la pauvreté se traduit par des dehors repoussans et, au dedans, par une sorte de dénuement intellectuel, d’avilissement social et moral. Dans de telles contrées, l’utile et le bon se rapprochent parfois au point de se confondre ; il y a un certain bien-être inséparable du bien-faire, une indépendance matérielle sans laquelle, au sein d’une société civilisée, sont compromises l’indépendance morale et la liberté de l’individu. Il ne faut donc pas juger l’utilitarisme et l’individualisme anglais d’après la même règle que l’égoïsme vulgaire : ils ont souvent leur principe dans un intérêt bien entendu qui peut se fondre, en définitive, avec le sentiment de la dignité personnelle et qui n’exclut nullement la solidarité sociale.

La situation insulaire devait aussi exercer une grande action et sur les destinées et sur l’esprit du peuple anglais ; elle tendait à l’isoler en soi. D’une part, elle l’obligeait à une fusion plus rapide et plus complète de ses élémens intérieurs, qui devait produire plus vite un caractère un et homogène ; d’autre part, elle empêchait à l’extérieur des communications qui auraient eu pour résultat une sociabilité plus étendue. Les Anglais n’ont communiqué avec le continent que pour s’efforcer d’y conquérir du territoire ou y faire du commerce. La Grande-Bretagne a un vaste développement de cotes, avec des estuaires de fleuves qui rendent ses ports difficiles à attaquer. Dans son sol, le fer et la houille abondent. Uieii n’était donc plus naturel aux habitans que de se tourner vers le négoce et, plus tard, vers l’industrie.

Pour bien comprendre la direction et le développement propre du caractère anglais, il faut se rappeler que la race germanique, dont les Anglo-Saxons étaient une branche, a lini par présenter une double antithèse, qui est devenue sa marque distiuctive : in-