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Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 150.djvu/189

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II. — LES MISSIONS DE SAMUEL BAKER ET DE GORDON, 1869-76

En 1869, le khédive Ismaïl-Pacha décida enfin l’annexion des contrées du Haut Nil au Soudan égyptien. La ferme volonté d’anéantir la traite des esclaves fut le mobile apparent de sa résolution. Eut-elle pour mobiles réels l’espoir d’ajouter des ressources nouvelles à celles que la terre féconde d’Égypte livrait sans répit à ce prodigue et sans cependant le satisfaire, ou bien le désir de continuer l’œuvre de Mehemet-Ali son aïeul, qu’il se piquait d’imiter ? Nous l’ignorons.

Il confia à un voyageur, — nous nous garderons de dire à un explorateur, — qui revenait de l’Afrique équatoriale, Samuel Baker, le soin de mener à bien cette entreprise et lui en fournit très libéralement les moyens. La mission de Baker dura jusqu’en mai 1873, les résultats en furent misérables et hors de proportion avec les dépenses. Baker éleva trois postes égyptiens dans la région du Haut Nil, l’un à Gondokoro, l’autre à Fovera sur le Nil Somerset, qui porte dans le lac Albert les eaux du Victoria, le troisième entre les deux premiers, à Fatiko. Là se borna son œuvre de quatre années. Il essaya d’établir des postes dans l’Ounyoro, mais dut se retirer devant l’énergique résistance de Kabrega, chef du pays.

Baker ne réussit pas davantage à anéantir la traite des esclaves, objet principal de sa mission. En revenant de Gondokoro à Khartoum, il rencontra sur le Nil trois barques chargées d’esclaves qu’on allait vendre dans le Sennar ou au Kordofan : preuve lamentable, mais irréfutable de son insuccès. Baker ne s’était pas représenté les difficultés de son entreprise. Quand il arriva sur le Haut Nil, la traite des esclaves y était organisée depuis dix ou quinze ans. Elle avait déjà ses habitudes et même ses traditions. Les marchands d’esclaves, qui disposaient d’une véritable armée, avaient enveloppé le pays d’un réseau de postes. Quantité de gens au Soudan et en Égypte vivaient de ce commerce immoral, et beaucoup de fonctionnaires en profitaient. Les officiers de Baker eux-mêmes pactisaient avec l’ennemi. Par intérêt, ils souhaitaient donc tous l’échec de Baker, mais en outre, musulmans, partant convaincus de l’infériorité du nègre païen et de la légitimité de l’esclavage, ils ne comprenaient pas pourquoi ce chrétien s’efforçait de rompre avec une coutume sur laquelle repose toute