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Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 150.djvu/191

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longue main un protectorat égyptien sur l’Ouganda, précurseur d’une annexion. Il n’obtint aucun résultat appréciable et, après qu’en 1877 Emin fut retourné une seconde fois dans l’Ouganda, l’Egypte renonça à toute velléité d’expansion dans cette contrée.

Mais, lancer des bateaux sur le Nil ou envoyer des missions constituait pour Gordon une partie secondaire de sa tâche. Son devoir, le motif de son séjour dans ces contrées perdues, c’était l’anéantissement de la traite des esclaves.

Sa passion pour la justice comme sa haine de toute vilenie trouvaient également leur compte dans cette œuvre. Son horreur des esclavagistes l’entraînait parfois, lui ce gentleman correct, à des actes surprenans. Il alla un jour, rapporte M. Boulger dans sa Life of Gordon, jusqu’à cravacher l’un d’eux en plein visage et on m’a raconté au Caire qu’un autre de ces misérables ayant été introduit dans la hutte pendant le repas, Gordon hors de lui, se mit, dans l’excès de son indignation, à le larder de coups de fourchette.

Fermer aux marchands d’esclaves toute issue vers le nord, les épier, les prendre sur le fait, avoir la satisfaction de rendre la liberté à leurs victimes, voilà l’œuvre à laquelle Gordon se dévoua de 1874 à 1876. Sa préoccupation dominante se manifeste à chaque page de sa correspondance. Il ne répartit pas ses postes au hasard sur le pays, mais les plaça en certains points stratégiques pour entraver de son mieux les opérations des marchands d’esclaves. Or, à quoi aboutit tout cet effort ? Assurément la traite ne s’exerça plus ouvertement comme jadis, mais les esclavagistes ne renoncèrent pas à leur commerce lucratif. Ils corrompaient les fonctionnaires égyptiens, ils se frayaient de nouvelles voies. La route de Dem Ziber à Chakka dans le Darfour fut de plus en plus fréquentée. Junker voyageant sur le Nil Blanc en 1876, rapporte que la veille du jour où il était arrivé au poste du Sobat, un navire chargé d’esclaves avait descendu le fleuve.

Gordon parvint donc momentanément à un résultat relatif, il ne réussit cependant pas à anéantir la traite des esclaves.


III. — LA PROVINCE ÉQUATORIALE SOUS LE GOUVERNEMENT D’EMIN, 1878-1884

Dégoûté et découragé, Gordon quitta le Haut Nil à la fin de 1876. Revenu en Angleterre, il finit par céder aux instances