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Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 150.djvu/317

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précieuses vies confiées au courage d’un petit nombre de braves gens.

Aucun incident digne d’être noté ne se produisit pendant le trajet de Paris à Saint-Cloud. A peine sortis de Paris, nous plongions dans le vrai sentiment de la France, qui était loin d’être enthousiaste de son gouvernement, mais qui souhaitait ardemment qu’il ne fût pas renversé. Nulle part un mauvais cri, nulle part une agitation populaire. A Saint-Cloud, où les premières nouvelles de Paris avaient éveillé l’attention des autorités, nous trouvâmes un bataillon de gardes nationales qui reçut très bien le roi. La famille royale se rendit immédiatement dans ses appartemens, pendant qu’une partie des personnes qui l’avaient accompagnée l’attendaient avec moi dans le salon de famille. La panique était arrivée à son comble dans les esprits, et je me rappelle cette exclamation affolée d’une des personnes présentes, qui, sans se rendre compte de l’impossibilité matérielle du fait, s’écria en s’adressant à moi : « Ils arrivent, je vous assure quils arrivent. » Pendant ce temps, on avait fait approcher d’une des portes du palais donnant sur le parc un omnibus, et bientôt le roi rentra dans le salon, prêt à partir. Il avait trouvé des vêtemens contre lesquels il avait échangé son uniforme. Le duc de Montpensier avait imité cet exemple, et portait un paletot et une casquette prêtés par je ne sais qui. Ils n’adressèrent la parole à personne ; ils pliaient tristement, avec le costume d’une abdication plus complète encore que celle des Tuileries, sous le poids du coup qui les avait frappés. Je les suivis jusqu’à la voiture, l’âme bouleversée, le visage inondé de larmes, un affreux mélange de désespoir et de honte dans le cœur.

Cte de Montalivet.