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Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 150.djvu/360

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parlaient aussi. La parole est la maîtresse et la reine de l’art grégorien. Exclusivement vocale, cette musique est aussi la musique verbale par excellence. Sans la parole, elle n’a pas de raison d’être, elle n’est pas. La phrase mélodique ne fait que suivre et pour ainsi dire épouser la phrase littéraire. Non seulement il n’y a pas de musique plus respectueuse que celle-ci de l’accent, sur lequel elle est fondée tout entière ; mais il n’y en a pas de plus souple, de plus sensible à la valeur et à la dignité respective des mots. Par une exacte distribution de la lumière et de l’ombre, elle arrive à modeler véritablement le discours. Tantôt elle appuie, sans jamais rien écraser ; tantôt, sans rien étouffer, elle enveloppe ; tantôt elle glisse et, comme en se jouant, elle passe. Tandis que notre polyphonie moderne demande à l’harmonie, aux timbres, la vérité et la variété de l’expression, la mélodie grégorienne l’obtient de la parole seule. On ne dirait pas que les mots ont été « mis en musique, » mais que la musique est sortie, a jailli des mots eux-mêmes où elle était contenue et comme en puissance.

Il n’est pas jusqu’à la prononciation qui n’ajoute à la mélodie grégorienne plus de grâce ou plus de force, et toujours plus de beauté. Introduite ou rétablie par Dom Guéranger dans l’office bénédictin, la prononciation italienne est conforme à l’histoire, à la liturgie et à l’esthétique. A l’histoire d’abord. On ne saurait contester que les Italiens soient, par héritage, en possession de la prononciation latine. En français même, celle-ci a survécu dans l’orthographe de certains mots : loup, ours, bourse, dérivés de lupus, ursus, pursa. De plus, le « chuintement » italien (patchem, tchœli, pour pacem, cœli) se rencontre constamment dans les vieux manuscrits français du xe au XVe siècle, et les mêmes textes, en guise de J. ne contiennent jamais que l’I. Quant à la liturgie, la prononciation italienne en complète l’unité littéraire et littérale par l’unité sonore ; elle achève ainsi le grand dessein de Dom Guéranger : la parfaite unanimité dans la prière. Enfin cette manière de prononcer n’est pas seulement la plus exacte et la plus religieuse ; elle est aussi la plus esthétique, et cette question de tradition et de logique est aussi une question de beauté. On l’a très bien dit : « Si on lit Arioste ou Dante à la française, c’est-à-dire sans accentuation, en prononçant l’u italien comme notre u, le c comme notre c, et de même pour les autres lettres, le charme de leurs vers disparaît entièrement ; on peut les comprendre, mais