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société civile en participation, dont les biens sont d’habitude possédés en commun, et dont tous les membres, solidaires les uns des autres, sont tenus de se prêter assistance : « L’autorité appartient au plus âgé, qui remplit les fonctions d’un chef de gouvernement ; tout le monde fait ses apports, les ressources sont rassemblées dans une même caisse, et des statuts définissent les droits et les devoirs de chacun. » Que des dissensions intestines rendent un partage nécessaire, la famille est atteinte dans son crédit et c’en est fait de son bonheur comme de sa gloire. Ce qui fait prospérer une maison, ce ne sont pas les actions d’éclat, les brillantes aventures, les vertus romantiques ; c’est l’union, la discipline, le travail, l’économie, la tempérance : « Travaillez beaucoup, disait Confucius, consommez peu. Apportez une grande attention aux petites choses ; rien n’a plus d’importance que ce qui semble insignifiant ; c’est pourquoi l’homme de bien veille toujours sur lui-même quand il est seul. Que vos plaisirs et vos déplaisirs soient toujours mesurés ! Vous arriverez ainsi à l’harmonie du cœur, et, quand l’harmonie est parfaite, l’ordre règne sur la terre comme dans le ciel, et tout pousse, et la sève monte, et tout vient à bien. »

La piété filiale est la vertu de laquelle découlent toutes les autres, et il n’y a de sacré dans ce monde que l’autorité paternelle. A le bien prendre, les vertus civiles et sociales ne sont que des vertus domestiques. Le père est un souverain entouré de ses sujets, le souverain est un père entouré de ses enfans. Il a droit à leurs respects et à leurs hommages ; mais qu’il n’exige pas d’eux une obéissance servile et silencieuse : tout Chinois a le droit de remontrance. « Dans les temps anciens, disait encore le maître, quand un empereur n’avait pas de bons principes, il avait sept ministres qui l’avertissaient, et il ne risquait pas de perdre la couronne. Quand un lettré avait un ami qui se faisait un devoir de le gronder, il conservait sa bonne renommée, et quand les pères avaient des fils qui leur donnaient de sages avis, ils ne s’engageaient point dans de mauvais chemins. »

L’empereur est un père de famille, qui est tenu de faire passer avant le sien le bonheur de ses enfans, d’avoir pour eux toutes les attentions qu’ont les abeilles pour leur couvain, et de prêter l’oreille aux représentations, aux conseils des sages. Passant leur vie à causer avec les morts, à les interroger, il leur appartient d’éclairer la conscience de leur souverain, de lui remettre en mémoire les antiques traditions, de lui rappeler sans cesse que le secret du bonheur est de respecter les vieilles choses et le bourdonnement confus des vieilles paroles. « C’est une grande erreur, dit M. de Brandt, que de qualifier