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Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 150.djvu/685

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d’autocratique le système de gouvernement de la Chine. L’empereur et ses conseillers ont tant à compter avec les vieux principes philosophiques, avec les coutumes et la science des précédens qu’ils sont tenus de plus court qu’un souverain d’Europe pris dans les mailles d’une constitution. » Comme la puissance paternelle, l’absolutisme d’un empereur chinois est limité par le droit de remontrance et de censure des vivans et des morts, et les morts sont quelquefois des censeurs plus importuns, plus tyran niques que les vivans.

La Chine est moins un peuple qu’une immense famille, que le fils du Ciel, patriarche des patriarches, est censé gouverner. L’Empire fleuri se divise en provinces grandes comme des royaumes, où poussent toutes sortes de fleurs ; elles ont tous les climats, on y parle une foule de dialectes, et elles ne sont unies les unes aux autres que par des nœuds très lâches. Mais l’unité morale y tient lieu d’unité politique : on y trouve partout les mêmes mœurs, les mêmes cérémonies, les mêmes rites, la même façon de sentir et toutes les observances qui se rattachent à l’organisation patriarcale de la famille. Les jours, les années, les siècles coulent, et la Chine ne change pas : Confucius avait le génie des fondations solides et résistantes, le génie de l’immuable.

Mais, si les vertus domestiques sont pour une nation un élixir de longue vie, elles ont aussi leurs inconvéniens, leurs tares, et souvent les biens et les maux se compensent. « Plus répandu et plus intense en Chine que dans tout autre pays, l’esprit de famille y produit par son excès de fâcheux résultats. L’étroite liaison d’intérêts établie entre tous les membres d’une famille, qui est un véritable clan, substitue à la dignité personnelle, à l’indépendance de l’individu la tyrannie d’une collectivité irresponsable, dont les exigences pervertissent le sens moral du Chinois. Comment pourrait-il avoir l’amour du bien public quand la coutume, le devoir, les bienséances l’obligent à faire passer avant toute autre considération les intérêts de la maison où il est né, de tous les siens, de toute sa parenté ? » Ajoutons que l’homme qui met sa gloire à travailler pour une communauté se permet souvent de faire pour elle des choses illicites qu’il ne ferait pas pour lui-même, que l’être collectif, dont il est l’humble et dévoué serviteur, l’autorise à prendre avec la morale des libertés qu’il rougirait de prendre dans son intérêt privé. La fraude, le mensonge, le vol n’ont plus rien de honteux lorsque celui qui vole et qui ment s’acquitte d’un devoir domestique. Notre petit moi a des pudeurs, notre grand moi n’en a point.

Comment se fait-il que la Chine ait tant de griefs contre ses