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Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 150.djvu/690

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monde, que M. Vandérem a abordé le problème sentimental dont l’étude sert de thème au Calice.

Car il est assez facile de voir comment s’est formé dans l’esprit de M. Vandérem le dessein de sa comédie. Dans ses romans il était parti de l’observation concrète ; pour le Calice, il est parti d’une idée ; l’un et l’autre procédé est d’ailleurs également légitime. Pendant longtemps la morale du théâtre avait admis que la femme trompée a le droit de se venger. Elle peut se venger en trompant à son tour ; et ce n’est assurément pas très noble. Elle peut encore se venger en perdant sa rivale ; et ce n’est pas très généreux. À ce point de vue tout humain s’est peu à peu substitué un point de vue plus chrétien. La théorie du pardon est déjà exposée avec abondance et avec force dans le théâtre d’Alexandre Dumas ; seulement le christianisme de Dumas n’inspirait pas confiance ; il fallait que la pitié à la russe vînt à passer par-là. Pendant les dix années où la religion de la souffrance humaine a été la religion à la mode, le roman et le théâtre ont pardonné avec frénésie. Mais voici que des doutes nous viennent. L’amour pardonne-t-il ? Qu’un vieux mari, qui est pour une femme trop jeune moins un mari qu’un père indulgent, pardonne une faute causée par la disproportion des âges, cela n’est pas impossible ; que des époux vieillis, chez qui l’amour a été remplacé par une longue habitude d’affection, se pardonnent une faute ancienne, cela encore est admissible ; mais entre deux êtres jeunes pour qui l’amour a sa signification complète, il ne saurait y avoir de pardon. Ce qu’on décore de cette appellation spécieuse, ce n’est que le besoin des sens qui triomphe des révoltes de la fierté, c’est le désir issu du fond obscur de notre être, et qui survit au mépris. Voyons donc les choses comme elles sont ; appelons-les par leur nom. C’est ce qu’a fait l’auteur du Calice. Ici encore M. Vandérem a été servi par le sens aigu qu’il a du réel ; il a pris pour point de départ une idée juste ; il reste à voir par quels moyens il l’a traduite au théâtre.

Il y a huit ans que Simone est mariée à Jacques Danthoise. Il y a huit ans que Jacques trompe Simone. Au reste, il ne prend guère soin de cacher ses infidélités. Le père de Simone, M. Lemassier, sa tante, Mme Gallardon, sa sœur, Solange, ses amies, divers messieurs désireux de profiter de la situation, et enfin tout le monde est renseigné sur la conduite de Jacques. Simone est-elle seule à l’ignorer, ainsi que le donne à croire son attitude calme de femme heureuse ? Un mot, un soupir, un sanglot nous font comprendre, à la fin du premier acte, que Simone sait tout. — Pourtant elle accepte d’héberger sous son toit, pendant la saison des bains de mer, une certaine Mme Lajiano,