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Et suit de loin, avec un sourire d’ami,
Les bergers laissant là leur bétail endormi,
Et, là-bas, au désert, sous l’azur diaphane,
Les trois rois d’Orient venant en caravane.

Et, pendant cette nuit, monde payen, tu dors,
Repu, cruel, content, sans espoir ni remords,
À tes faux dieux de marbre et de bronze incrédule.
Et les pleurs de l’esclave aux fers, dans l’ergastule,
Et les lions, au fond du Cirque, rugissant
Vers leur prochain repas de chair d’homme et de sang,
Ne t’éveilleraient pas de ton sommeil sans rêve.
C’est pourtant cette nuit que ton règne s’achève,
Vieux monde, et que surgit le Dieu de la bonté.
Bientôt, par ta bassesse et par ta lâcheté,
Un Tibère, un Néron auront leur temple à Rome.
Mais le Dieu qui mourra pour nous, le Dieu fait homme,
Jésus, notre Sauveur, vient de naître aujourd’hui.
Tu dors et n’en sais rien. Mais le Ciel le sait, lui !
Et c’est pourquoi, ce soir, dans la nuit étoilée,
Où flotte doucement une musique ailée,
S’en vont vers Bethléem le pasteur et le roi :
C’est pourquoi le ciel est en fête, et c’est pourquoi,
Devant l’humanité meilleure qu’ils pressentent,
Tout le firmament prie et tous les astres chantent !

« Rêves, chimères, dit un sceptique en riant,
Légende fabuleuse et conte d’Orient. »

J’ai nié comme lui… Pardon, Dieu véritable !…
Mon âme était alors l’infecte et sombre étable
Ouverte à tes parens, les pauvres voyageurs,
Car, hélas ! chez le moins coupable des pécheurs,
Ne fût-ce qu’en désir, ne fût-ce qu’en pensée,
Que de honte secrète et de fange amassée !
En mon âme logeait un vice coutumier,
Tel qu’un vil animal vautré sur son fumier ;
Et, dans l’ombre malsaine et d’un miasme imprégnée,
Le remords me guettait, monstrueuse araignée !