Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 150.djvu/910

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

par la voix de cette solitude : Dieu seul est Dieu. Et nous, quand notre regard cherche le tombeau de ce Dieu, trouverons toujours autour du sanctuaire les misères, les demeures et le vain bruit de ce qui passe ? trouverons-nous toujours les marchands qui seuls ont survécu dans la ruine du Temple et encombrent toutes les avenues du sépulcre ? trouverons-nous toujours assises à la porte du sépulcre même, au lieu de l’ange, les dissensions religieuses ?

La voiture a achevé de gravir la rampe. Elle roule maintenant sur un plateau étroit et long qui forme, du nord au sud, la cime de la montagne. La vue n’est plus bornée au versant qui s’achève en l’étroite vallée de Josaphat et d’où apparaît Jérusalem. Le long de l’autre versant, le regard plonge bien plus bas sur un pays plus aride encore. Au fond de vastes gradins qui descendent, rugueux et stériles comme des éboulis, s’étend une large vallée, blême, à face de fièvre. En son milieu une étroite teinte de verdure indique un fleuve, invisible sous ses berges, et dont on aperçoit seulement l’embouchure dans un commencement de lac aux eaux ternes. Sur la rive opposée du fleuve et du lac, au loin, le sol se relève, d’un seul et puissant effort, en une longue chaîne aux profils réguliers, aux plissemens usés par le temps et qui mettent l’ombre ténue d’innombrables rides sur la vieillesse de la montagne. Cette montagne elle-même est tout un pays haut, dont les plateaux moutonnent derrière la première chaîne. L’œil suit, jusqu’à l’extrême horizon, leurs lignes de plus en plus lointaines, toujours stériles et toujours nettes dans le vide lumineux de l’air. C’est l’immensité dans l’espace et dans la tristesse, et cette terre semble ne s’étendre si vaste que pour contenir plus de misère. Cette vallée unit la Galilée à la Palestine ; ce fleuve est le Jourdain ; cette anse où il se jette, la mer Morte ; ces montagnes lointaines, les déserts de Moab. Et tandis que le regard embrasse ces vastes contrées, elles évoquent des souvenirs plus grands encore.

Mais c’est près de nous maintenant qu’il convient de jeter les yeux. Le cawas ouvre la portière. Voici la tour des Russes, des troupes rangées derrière leurs faisceaux, un enchevêtrement de voitures auxquelles la nôtre va se joindre. L’empereur a mis pied à terre et n’est pas loin. Nous faisons quelques pas vers la tour. Au coin de la chapelle abritée sous son ombre débordent comme les derniers rangs d’une assistance : tout ce monde, debout et tête nue, regarde et semble écouter. Par une manœuvre