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Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 150.djvu/911

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diplomatique et dont l’honneur revient à notre consul général, au lieu de nous mettre à la suite du groupe, nous tournons le petit édifice. Un spectacle imprévu s’offre à nous.

En plein air, sur une large esplanade qui règne devant la chapelle, un grand tapis est étendu. A une extrémité de ce tapis brille l’or de deux fauteuils, solennels comme des trônes, sous l’ombre légère des jeunes pins. Sur les fauteuils, l’empereur et l’impératrice sont assis ; derrière, leur suite est groupée ; en face d’eux et debout au centre du tapis, un Allemand parle. Nous venons de déboucher à sa hauteur ; un seul rang de personnes borde devant nous le grand côté du tapis ; nous approchons mêlés à elles ; nous avons sous les yeux l’orateur, les souverains, leur suite, et si près que rien des paroles, des gestes ni des visages ne nous échappe. Mais ce sont visages, gestes et paroles de cour. L’homme qui discourt est le premier pasteur de Leurs Majestés. Il leur fait un prêche. Sa voix nette et simple, son attitude naturelle et recueillie ont, sans effort d’éloquence, un accent de gravité et une force de conviction. Soit qu’il s’incline comme sujet, soit qu’il se redresse, comme prêtre, il s’entend au difficile état de parler au nom de Dieu à un empereur. Il rappelle à Guillaume son père, qui fut aussi pèlerin de Jérusalem ; il remercie le fils d’avoir, suivant cet exemple, rendu un hommage à la foi ; il ne doute pas que cet acte de foi ne soit utile ; il demande au ciel de veiller sur le souverain et de l’inspirer.

L’empereur écoute tête nue, avec un air de respect qui lui manquait la veille. Au moment où le sermon s’élève à la prière, il s’agenouille avec l’impératrice, leurs fronts s’abaissent tandis que le pasteur consacrait chacun de ses vœux par des supplications de plus en plus instantes, et, bien après que la voix s’est tue en un dernier amen, ils demeurent prosternés comme s’ils écoutaient Dieu même leur parler dans le silence. L’impératrice, les mains jointes et appuyées sur son ombrelle, semblait croire et adorer en une effusion confiante ! La piété de Guillaume II n’était pas si simple. Un genou en terre, l’autre servant de soutien à son bras gauche, la main droite retenant les plis d’un grand burnous qui voilait d’une transparence soyeuse les teintes bleues et l’argent de son uniforme, le buste et la tête inclinés, le visage immobile comme le corps, il était une belle statue de la prière, un pendant du Penseroso. Il n’y avait à reprendre précisément que l’excès dans cette perfection, cet arrangement des draperies,