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Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 152.djvu/106

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plus importantes, le métier de roi. Il se peut également qu’en grand-père affectueux, joignant une bonté réelle à un prodigieux despotisme, il voulût adoucir par avance le coup qu’il allait porter à son petit-fils en frappant des maîtres ou des compagnons qui lui étaient chers. Il devait aussi se proposer de le tirer de l’étude et de la dévotion pour en faire un prince et un homme.

Dès son enfance, le duc de Bourgogne avait témoigné beaucoup de goût pour les choses militaires. On se souvient peut-être de l’ardeur avec laquelle, à l’âge de sept ans, il avait endossé l’uniforme des mousquetaires noirs, et fait l’exercice devant Louis XIV dans la cour de Versailles[1]. C’est à cette occasion que Mlle de Scudéry, dans un madrigal, l’avait comparé à l’Amour,

Qui pour divertir Mars s’est ainsi déguisé.

Mais le jeune prince avait été fort choqué de la comparaison, et, pour rentrer en grâce, il avait fallu que la même Mlle de Scudéry lui adressât un nouveau madrigal ainsi conçu :

Prince, consolez-vous d’être appelé l’Amour ;
Imitez bien Louis ; vous serez Mars un jour[2].

Quelle dut donc être sa joie, lorsque, à seize ans qu’il avait, il apprit de la propre bouche du Roi que l’honneur de commander le camp de Compiègne lui était réservé. Il n’en fallait pas davantage pour mettre en verve les faiseurs de vers. L’un d’eux s’écriait, s’adressant au jeune prince :

Va, prince généreux, va ! que rien ne t’arreste,
Abandonne ton âme à ses transports guerriers,
Et dans un champ second va semer les lauriers
Qui doivent couronner ta teste[3].

Le commandement devait être en partie honorifique. Sous ses ordres immédiats, mais en réalité pour diriger en son nom les opérations, était placé le maréchal de Boufflers, homme d’honneur, bon militaire, qu’on accusait à la vérité d’avoir fait preuve d’un peu de mollesse au siège de Namur, mais qui devait montrer un jour, par son héroïque résistance dans les murs de Lille, l’injustice des attaques dirigées contre lui. C’était cependant le duc de Bourgogne qui devait porter l’écharpe blanche, insigne du

  1. Voir la Revue du 1er février 1897.
  2. Lettres inédites de Mme de Sévigné, publiées par Capmas, t. II.
  3. Mercure de France, août 1698.