Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 152.djvu/108

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

place, enfin la retraite d’une armée sur plusieurs colonnes sans confusion et sans désordre. Ce camp n’était pas le premier dont Louis XIV eût ordonné la réunion[1]. Mais les précédens avaient eu surtout pour but l’instruction et l’exercice des troupes. Celui-ci était le premier qui dût offrir un simulacre de toutes les opérations de la guerre, et le seul qui, autant par le nombre des hommes rassemblés que par le plan des opérations, puisse être comparé à nos grandes manœuvres d’aujourd’hui.

Les camps n’avaient été également jusque-là que des rassemblemens purement militaires. Il n’en fut pas de même de celui de Compiègne. Le Roi avait témoigné le désir d’y voir une grosse cour. Il n’en fallait pas davantage pour que la Cour s’y précipitât. Pour les Marlys, le Roi désignait individuellement les dames qui étaient autorisées à s’y rendre. Dans cette circonstance, au contraire, il « lâcha la main, » dit Saint-Simon, et permit à toutes celles qui en auraient envie de venir à Compiègne. Ce n’était pas tout à fait le compte des dames, dont chacune aurait voulu être nommée. Mais elles n’eurent garde de ne pas profiter de cette permission générale, et l’ardent désir d’aller au camp, joint aux difficultés du voyage, leur fit « sauter le bâton, » c’est-à-dire passer par-dessus certaines questions d’étiquette auxquelles, dans l’ordinaire de la vie, elles se montraient fort regardantes. « Tout fut bon pourvu qu’on y allât. » Les ducs eux-mêmes consentirent à être couplés, c’est-à-dire logés deux par deux, sans que Saint-Simon s’en plaignît. La duchesse de Bourgogne emmena quatre de ses compagnes habituelles, toutes à peu près de son âge. Quand elles étaient dans le même carrosse, on remarquait qu’à elles cinq, elles ne faisaient pas soixante-dix ans. Mme de Maintenon fut aussi du voyage, bien qu’elle n’y eût pas grand goût. « Il me semble qu’une assemblée de charité me siérait mieux que d’aller au camp avec une princesse de douze ans, écrivait-elle à l’archevêque de Paris. Mais On veut tout par rapport à soi[2]. » On, c’est-à-dire le Roi, ne pouvait se passer en effet de ces deux compagnes de sa vieillesse, et, de gré ou de force, il les emmena toutes les deux à Compiègne.

Il y arriva le 1er septembre, traînant avec lui dans son vaste carrosse Monseigneur, le duc et la duchesse de Bourgogne, la

  1. Il y en avait eu un en 1676 et deux en 1683, l’un dit le Camp de la Sarre et l’autre le Camp de la Saône.
  2. Correspondance générale, t. IV, p. 254.