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Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 152.djvu/345

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le droit de faire sentir son influence en Europe, et de défendre ses intérêts propres, même avec la plus extrême modération. C’est là une prétention qui serait blessante, si elle voulait être sérieuse. La France n’est pas enfermée dans ses frontières ; elle se manifeste dans le monde entier par l’action salutaire qu’elle exerce au profit de sa puissance personnelle en même temps que pour l’avantage de la civilisation. Quand une nation renonce à son rôle, elle abdique. Le peuple français a la susceptibilité de son honneur en même temps que la modération de sa force, et, si on l’excite par la menace, on le calme par la conciliation. »

C’était un vrai manifeste. Il s’adressait moins à la Prusse, louée pour sa sagesse et sa modération, qu’aux cours allemandes. Il était habile de séparer le Nord du Midi, mais le cabinet de Berlin ne s’y laissa pas prendre ; il ne cacha pas son mécontentement en voyant la Prusse mise en opposition avec le sentiment public en Allemagne.

L’Empereur n’atteignit pas le but qu’il s’était proposé ; sa profession de foi excita les passions qu’il devait calmer. « Les louanges dont on a comblé la Prusse, écrivait sir E. Malet, le 25 mars, l’ont mise dans une fausse position ; elles ont produit un effet absolument contraire à celui qu’on en attendait. »


XIV. — LA MISSION DE LORD COWLEY A VIENNE

La diplomatie contemporaine n’a pas traversé de période plus agitée, ni plus dramatique, que les quatre premiers mois de l’année 1859. La guerre de 1870 a éclaté comme un coup de foudre, dans une atmosphère saturée d’électricité ; celle de 1859, au contraire, longuement, savamment préparée, a été précédée par d’interminables négociations, avant de s’imposer à l’opinion fatiguée, énervée. Tout le monde l’appréhendait de longue date, sans qu’elle parût motivée par l’honneur outragé ou par l’équilibre des forces menacé. Les rapports entre Vienne et Turin étaient tendus depuis des années ; personne ne contestait que des réformes fussent désirables en Italie ; mais le bon sens se refusait à admettre que le Piémont, oublieux des défaites de Custozza et de Novare, subies en 1848 et 1849, pût commettre l’insigne folie de s’attaquer à l’Autriche sans être certain, cette fois, de l’appui résolu de la France. Tout, dans son attitude provocante depuis l’entrevue de Plombières, autorisait à craindre qu’il ne fût assuré de cet appui.