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Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 152.djvu/354

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diplomatie officielle. Napoléon III approuva cet appel des contingens que, la veille, il avait apprécié si sévèrement. Le comte Walewski, en mettant le prince de la Tour d’Auvergne au courant de ce violent incident, disait : « On a tant gémi, on a tant dit que cette déclaration du journal officiel était un abandon formel et que toute l’Italie la considérerait comme telle ; on a tant répété qu’il ne restait au roi de Sardaigne, notre allié le plus dévoué, qu’à abdiquer ou à se faire tuer, que l’Empereur s’est prêté à la mesure, en entendant Nigra[1] lui dire qu’elle était l’unique moyen de conjurer des résolutions désespérées. La démission du prince Napoléon a encore aggravé les choses. Il y a eu crise, vous le voyez ; mais cette crise, depuis hier, a pris fin. Tout aujourd’hui est subordonné à la mission de lord Cowley ; si elle aboutit, nous aurons échappé à un grand péril ; si elle échoue, il faudrait être prophète pour savoir ce qui adviendra. Tâchez de contenir la politique plus perfide encore que bouillante de l’homme aux lunettes. » Si le comte Walewski, dans ses lettres familières, appelait le comte de Cavour « l’homme aux lunettes, » ou parfois « la sirène de Turin, » ce qui n’était pas bien méchant, M. de Cavour, dans les siennes, traitait couramment M. Walewski de « niais » et de « vaniteux, » ce qui était peu distingué. Ils se détestaient ; leur haine était d’autant plus âpre qu’elle s’inspirait d’un ardent patriotisme. L’un voulait préserver la France d’une redoutable aventure ; l’autre cherchait à l’y entraîner pour assurer, à nos dépens, la grandeur de la maison de Savoie et l’unité de l’Italie.

Szarvady, qui était en rapports avec M. Bixio, et « parlait chaque jour à cinquante journaux, » sut vite ce qui s’était passé. Dès le 11 mars, il écrivait à Kossuth : « L’article du Moniteur a été extorqué par Walewski et Fould. Le prince Napoléon a donné sa démission ; son cousin l’a supplié de rester, mais il lui a répondu qu’il ne garderait son portefeuille que s’il renvoyait ses ministres. L’Empereur lui a demandé un mois pour cela, il a déclaré qu’il ne rentrerait que lorsque le sacrifice serait consommé. Il ne restera pas moins son vrai et unique ministre des Affaires italiennes. »

La France est peut-être le seul pays où des étrangers puissent, au mépris de l’hospitalité qu’elle leur accorde, s’immiscer ainsi dans les affaires, et ébruiter impunément des secrets d’Etat, sinon les trahir.

  1. « Nigra est notre véritable représentant, au grand chagrin de Villamarina, » dit M. de Cavour dans une de ses lettres (février 1859).