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Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 152.djvu/353

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expliquera sa conduite à l’Europe et à l’Italie ; il appuiera de preuves toutes ses assertions. Les conséquences en seront fatales ; mais qu’importe ! puisque tout est perdu, il faut sauver l’honneur… Peut-être serait-il temps encore de tout arrêter ; une bonne déclaration précise et nette, suivie immédiatement d’effet, rétablirait la situation. »

Le comte Walewski ne se laissa pas déconcerter par cette dramatique sortie ; il répondit avec calme que l’article du Moniteur était l’expression exacte de la situation ; qu’il n’avait jamais cessé de le lui dire et de le faire dire au comte de Cavour par le prince de la Tour d’Auvergne ; que, d’ailleurs, il existait un traité secret, et que lorsqu’il existait un traité, toute autre promesse vague et indéfinie disparaissait devant le texte précis d’un acte aussi formel ; qu’il ne savait pas qui avait pris l’initiative du traité, dont l’avantage pour le Piémont était manifeste ; qu’il ignorait que M. de Cavour eût des pièces à produire, mais que ce qu’il savait, c’est que le scandale ne profitait jamais à personne, et qu’aux yeux des honnêtes gens, il faisait plus de tort à celui qui l’avait provoqué qu’à celui contre lequel il était dirigé ; qu’enfin il avait trop de confiance dans le patriotisme et dans l’esprit de M. de Cavour pour craindre un seul instant de le voir trahir un secret inviolable et appeler la publicité sur des lettres confiées, avec trop d’abandon peut-être, à son honneur et à sa loyauté ; en agissant de la sorte, d’ailleurs, il perdrait son pays et se perdrait lui-même. Il ajouta qu’il n’y avait pas un seul de nos agens en Italie, pas un seul des cabinets de l’Europe, sans en excepter celui de Saint-Pétersbourg, par qui il n’eût été prévenu à plusieurs reprises des indiscrétions de M. de Cavour, indiscrétions tendant à compromettre l’Empereur personnellement. Il termina enfin en disant que, lorsqu’il s’agissait des plus graves intérêts du pays, c’était bien mal apprécier l’Empereur et son gouvernement que de s’imaginer pouvoir, par la crainte d’un scandale quelconque, modifier leurs résolutions.

La mercuriale était justifiée après de telles menaces ; mais, si elle était sans réplique, elle n’était pas sans appel. Il restait une instance suprême, et c’est à elle que M. Nigra allait s’adresser. Le comte Walewski avait trop auguré de la volonté de son souverain ; il avait oublié que l’Italie était sa corde sensible et que, pour l’attendrir, il suffisait de faire vibrer cette corde. La diplomatie occulte devait cette fois encore l’emporter sur la