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A la Cour de Windsor, on ne fut pas long à démêler les arrière-pensées des Tuileries. « Un congrès, écrivait la Reine à lord Malmesbury, a toujours été l’alternative que l’Empereur a mise en avant lorsqu’on craignait la guerre, mais un congrès pour remanier les traités de 1815. » M. Thiers, avec son habituelle sagacité, indiquait d’ailleurs, dans une lettre au prince Albert, les mobiles secrets qui avaient présidé à l’intervention si inattendue du prince Gortchakof dans les négociations relatives au congrès. Volontiers l’éminent historien entretenait avec des princes et des hommes d’Etat étrangers des correspondances auxquelles sa curiosité et son amour-propre trouvaient leur compte. Par malheur sa plume brillante et facile l’entraînait, parfois, un peu loin.

« L’Empereur au fond, disait-il, n’a qu’un but, une idée fixe, amener la guerre tout en parlant de paix… Par le congrès, il paralyse plus ou moins l’Angleterre et la Prusse en les liant à son système politique, car le congrès donne à la question italienne un corps, une âme, une existence politique réelle jusqu’ici toujours contestée par l’Autriche. Ce congrès retardera nécessairement la guerre, mais je crois que le délai est tout ce que Napoléon demande, son adversaire étant prêt, pendant qu’il ne l’est pas. Le délai sert admirablement son but d’employer contre l’Autriche un système dissolvant en prolongeant un état de choses critique et irritant qui l’épuisé. Il est de fait que l’Autriche ne peut pas rester armée sans s’épuiser. Il pourrait arriver que le jeune empereur d’Autriche, fatigué d’un fardeau insupportable, finisse par préférer la guerre à une situation aussi énervante qu’elle serait désastreuse. En devenant ainsi par force l’agresseur, il ferait le jeu de Napoléon, qui pourrait alors proclamer triomphalement que ce n’est pas de sa faute si l’Empire n’est pas la paix. »

Il eût été difficile d’apprécier plus judicieusement la politique impériale. Ce que M. Thiers prévoyait si bien, en disant que François-Joseph, énervé, pourrait bien jouer le jeu de l’empereur Napoléon en se faisant provocateur, devait arriver. Mais était-il bien correct de dévoiler ainsi à un prince étranger, mal disposé pour la France, en communauté étroite de sentimens avec la Prusse et l’Autriche, les dessous de notre politique ?

La Russie avait vu d’un œil inquiet le revirement pacifique qui s’était opéré à Paris dans les derniers jours de février ; les protestations indignées du Moniteur, dans son numéro du 5 mars, contre les intentions belliqueuses prêtées à l’Empereur avaient