Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 152.djvu/364

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
UNE PROMENADE A CEYLAN


I

Colombo. Mercredi soir, 13 octobre 1897.

Nous sommes arrivés à Ceylan au milieu du jour, et l’apparition des forêts de cocotiers au bord des vagues lourdes et pâles m’a d’abord déçu, tant le soleil aveuglait le paysage d’une teinte de cendre chaude. Des pirogues sans grâce sillonnaient la rade où de grands navires plongeaient leur noir sommeil. Nous descendîmes à terre et je vis devant moi un hôtel monumental, des maisons en construction dont les échafaudages de bambou dressaient dans l’air comme une flottille de mâts, et une avenue brûlante où couraient de petits tilburys traînés par des hommes à demi nus. Dans le jardin de l’hôtel, où étaient déjà réunis nos compagnons de route, des charmeurs de serpens déballaient leurs reptiles et des bateleurs couronnés de turbans jetaient des cris gutturaux. L’un d’eux donnait le répugnant spectacle de soulever des poids attachés à des godets de plomb qu’il avait introduits entre ses prunelles et ses paupières. L’autre accroupi soufflait sur un petit tas de sable d’où une bouture de palmier grandissait à vue d’œil. Le charmeur jouait avec son cobra et n’y avait pas plus de mérite que les Belles Fatma de nos foires avec leurs boas engourdis. Ce n’était point que la bête fût paresseuse, mais ses crocs arrachés la rendaient inoffensive. Son corps allongé sur le sol faisait en pleine lumière une coulée d’or mat, et le coup de pinceau de ses étranges lunettes avait le velouté sombre des yeux de la pensée.