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Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 152.djvu/385

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enfer. Puis notre guide nous introduisit dans un long vestibule où étincelaient des lustres en verre et des lanternes rouges. Près du seuil, six Cambodgiens, accroupis sous leurs voiles blancs, imberbes et ratatinés, avec leurs masques de vieilles femmes, marmottaient des oraisons devant leurs mouchoirs étalés et semés d’aumônes. Derrière une balustrade, des hommes sombres frappaient la peau dorée des tambourins, et d’autres, immobiles, soufflaient dans des trompettes stridentes. L’air était imprégné de l’arôme des frangipanes et du jasmin et d’un parfum de miel où se mêlaient des odeurs d’huile rance.

Au fond de la salle, on se déchaussait près d’un étroit escalier dont les degrés obscurs nous menèrent à une cellule embrasée. Les portes en sont d’ivoire travaillé ; la flamme des torches et des chandelles odorantes y léchait aux murs de grands Bouddhas peints en cinabre. Au milieu d’une table d’argent, s’amoncelaient des fleurs de jasmin ; et, à travers une grille vermeille, fermée de lourds cadenas et gardée par un bonze qui soulevait un flambeau parfumé, on nous permit de contempler une cloche resplendissante, terminée en pointe comme un casque, bombée comme une cuirasse, sertie de rubis et de topazes, chargée de carcans d’or. « C’est là, nous dit le vénérable Raswalte, que nous gardons la dent du Bouddha. Il y a seize cents ans qu’une princesse hindoue, pour la soustraire à l’impiété des Brahmes, nous l’apporta de l’Inde au creux de son chignon. On ne l’expose que les jours de grandes fêtes. Le roi de Siam, à son passage, voulut la voir, mais nous n’y avons point consenti. »

L’étrange petit palais vibrait tout entier de la répercussion sonore des tambours et des cuivres. Il s’animait d’une vie fantasque : des lueurs, des parfums, des glissemens de toges jaunes, et les sons enragés d’une musique barbare montaient et descendaient ses ténébreux dédales. Quand nous eûmes visité le pavillon octogone, bibliothèque des livres sacrés, mystérieux grimoires tracés sur des palmes étroites et longues, et réunis sous des couvertures d’argent incrustées de rubis, nous revînmes à l’étage inférieur, dans une salle resserrée ; où les Bouddhas attendaient nos hommages. L’un, en bois doré, derrière une vitrine, trônait sur une fleur de lotus ; l’autre, plus petit, tout en cristal, croisait les jambes dans une châsse d’argent et d’ivoire. Un moine debout, drapé à l’antique, le bruni de son épaule nue tranchant sur sa robe orangée, tenait un plateau de fleurs. Raswalte alla se