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Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 152.djvu/420

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il est, en effet, constant que la justice ne peut mettre la main que sur le 1/6 de leurs auteurs tout au plus. Donc, 23 vagabonds ayant été condamnés pour assassinat et meurtre en 1895, le nombre des vagabonds assassins et meurtriers inconnus aura été, selon notre théorie, de 23 x 6 = 138 ; soit de 64 pour 100 du chiffre total des assassins et meurtriers inconnus.

Ce chiffre n’a rien d’exagéré si l’on songe que le nombre des vagabonds errans sur les routes de France et à travers les campagnes est assurément, répétons-le, de 2 fois et demie au moins supérieur à celui des vagabonds arrêtés ; ce qui le porterait à plus de 100 000. Il ne faut pas oublier que, parmi ces errans, beaucoup, aigris par les déconvenues, la misère, le découragement, prennent la société en haine et sont dans une situation d’esprit éminemment favorable pour pratiquer en toute occasion le vol, l’assassinat et les attentats aux mœurs ; en un mot, pour se laisser aller à satisfaire ces deux terribles penchans de la nature humaine : la passion et la cupidité. Quoi de plus suggestif à cet égard que les nombreuses condamnations pour vols, escroqueries, abus de confiance, outrage aux mœurs, relevés sur les bulletins n° 2 des individus arrêtés pour vagabondage ?

D’après la théorie que nous venons d’exposer, le nombre des vagabonds assassins et meurtriers insaisissables serait de 64 pour 100 du chiffre total des criminels inconnus ; mais il est fort possible que nous soyons resté au-dessous de la vérité. En effet, les chemineaux errent à toute heure du jour et de la nuit ; et ils ont, en raison des distances considérables qu’ils parcourent, cent fois plus d’occasions de tuer ou de voler. Ces occasions sont aussi beaucoup plus favorables et les « roulans » n’ont même que l’embarras du choix. Le long des routes, au coin des bois, dans les pâturages déserts, ils rencontrent fréquemment des enfans, garçons ou fillettes, gardant leurs troupeaux ou vaquant aux travaux des champs ; or, quels dangers ne courent point les pâtres isolés, si le chemineau qui passe est une brute surexcitée par l’ardeur de la saison ? Si, d’autre part, pendant la moisson, et pendant le temps des fenaisons, de la vendange ou des travaux de l’arrière-saison, le vagabond ne trouve, à la maison où il se présente pour demander l’aumône ou du travail, qu’une femme, qu’une jeune fille sans défense, à l’heure où tout le monde vaque aux champs, quelle occasion propice !

Le voleur ou l’assassin domicilié a contre lui qu’on pourra