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Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 152.djvu/469

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foi en soi-même, propre a tous les peuples qui ont longtemps vécu isolés, cette foi s’atténua, pour faire place à la critique de soi-même. Du moment où l’Église, donnant l’exemple, décidait l’amélioration de sa liturgie, comment la vie, sous ses autres formes, pouvait-elle continuer à rester immobile ? « Qu’y a-t-il d’impossible pour la Russie ? s’écrie un contemporain ; il n’y a point de progrès que, sur l’ordre « du Tsar, on ne puisse aussitôt introduire chez nous. Si le marchand « ne sait pas lire et écrire, qu’on le force simplement à fermer sa boutique jusqu’à ce qu’il l’ait appris ! »

Oui, cette révision des livres religieux a bien été le réveil de la libre pensée. Ainsi l’ont tout de suite comprise les contemporains : et ce n’est pas en théologiens, c’est en philosophes et en moralistes que se sont élevés contre elle les prêtres qui la désapprouvaient. « Celui qui se passionne pour la géométrie, — écrivait un de ces ecclésiastiques, — est, par-là même, détestable à Dieu. Aimez la simplicité plus que l’intelligence ! Explorez les hauteurs, et ne vous abaissez pas à descendre dans les profondeurs ! Dieu vous a donné la vraie science toute faite : honorez-la et sachez en jouir ! » Paroles que le prince Volkhonsky, on le sent, trouve barbares, mais qui auraient de quoi plaire à plus d’un tolstoïen. Des paroles semblables jaillissent d’ailleurs, pour ainsi dire sans interruption, du sol russe, protestant contre les réformes : c’est elles qui accueillent les innovations de Pierre le Grand, c’est elles que Catherine met dans la bouche des personnages ridicules de ses comédies, c’est elles qui, rappelées à Alexandre Ier par ses conseillers, achèvent de le détourner de l’Europe et mettent un terme à ses essais de libéralisme. Et quand, à la fin du XIXe siècle, nous entendons les mêmes paroles répétées par les deux plus grands écrivains russes, Dostoïevsky et Tolstoï, force nous est d’admettre qu’il y a là une autre évolution, parallèle à celle des formes littéraires, l’évolution d’un sentiment national qui, sous toutes les formes, tend à se faire jour et à s’exprimer.

C’est elle, peut-être, qui, longtemps après Nikhon et le tsar Alexis, a retardé la naissance de la nouvelle littérature russe. Car l’éveil intellectuel que nous avons signalé a eu pour conséquence les réformes politiques, administratives, sociales de Pierre le Grand, mais la littérature n’est vraiment apparue que cent ans plus tard, sous le règne de Catherine : et encore la littérature du règne de Catherine ne peut-elle guère être considérée que comme un entraînement, un exercice préparatoire, dans l’attente d’une littérature enfin organisée et vivante. Cantemir, Lomonossof, Derjavine, von Vizine, autant d’utiles