Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 152.djvu/563

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Son austérité même et sa rudesse furent pour le mithriacisme une cause de faiblesse. Tout un monde de sentimens semble lui être fermé. S’il n’exclut pas la femme de ses mystères, il ne lui fait aucune place dans son dogme religieux. L’élément féminin en est absolument proscrit. C’est là son originalité unique entre toutes les religions de l’antiquité. Celles-ci, même les plus spiritualistes, traînent toutes après elles, comme une gangue tenace, l’obscénité des vieux cultes naturistes. S’être affranchi de cette contagion fut sans doute un incontestable mérite pour la religion de Mithra. En revanche, elle ne connut ni la majesté de la douleur maternelle, telle qu’elle s’exprime dans le marbre de Démèter du British Muséum, ni la tendresse passionnée et les élans mystiques que sut inspirer Isis à ses dévots. C’est par-là que ce culte prit les cœurs et conquit si fortement les femmes dans la société romaine. Autant Mithra fut bien inspiré, au début de sa carrière, en consommant son brusque divorce avec les divinités sensuelles de l’Assyrie et de Babylone, autant le fut-il mal, en rejetant de l’héritage du paganisme, qu’il recueillait à ses derniers jours, ce qu’il contenait de plus précieux et d’éternellement séducteur.

Le mithriacisme dut une part notable de son succès à sa facile adaptation au paganisme gréco-romain ; mais le paganisme condamné l’entraîna dans sa ruine. Dès le début, il entre de plain-pied dans le panthéon religieux de Rome. Non seulement il s’accommode du voisinage des dieux de l’Occident ; mais il en vient, à leur déclin, à les protéger et à les envelopper du prestige de sa gloire. S’ils se perdent en lui, il aliène par leur absorption quelque chose de sa personnalité. Il prend à son compte une part de leur renommée fâcheuse et de la juste impopularité qui les atteint. Après avoir profité des faveurs du culte officiel, il souffre des compromissions que ce culte lui impose. A la fin, il lui devient impossible de se dégager, il reste le prisonnier de ceux dont il a prolongé la vie.

Conséquence plus grave encore : le chrétien ne connaît que son Dieu ; ce Dieu jaloux ne souffre d’adoration que celles qui vont à lui seul ; les autres dieux sont de faux dieux, ou plutôt des démons. Plutôt que d’encenser les idoles, le chrétien brave l’horreur du supplice ; dans l’ardeur de sa foi il puise la force de résister à la douleur et de mépriser la mort, sûr que son sang répandu lui vaudra les récompenses éternelles. Mais le mithriaste n’est jamais exclusivement mithriaste. Mithra n’est pas un dieu