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Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 152.djvu/564

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plus jaloux que Zeus et que Sérapis. Il permet que ses fidèles adressent leur encens à d’autres autels. C’était, d’ailleurs, la coutume d’associer dans un même sentiment de respect et d’adoration les religions des provenances les plus diverses. Apulée se vantait d’être initié à tous les mystères connus de son temps. Il semblait que l’on prît ainsi autant d’assurance contre les incertitudes et les terreurs d’outre-tombe. Les inscriptions mithriaques nous révèlent le même état d’esprit chez les adeptes de Mithra. Agorius Prætextatus, le Père des pères que met en scène le livre des Saturnales, cumule les sacerdoces les plus variés. Il est quindecemvir, pontife de Vesta, hiérophante d’Isis. Sa femme, Aconia Paulina, se félicite d’avoir été initiée aux mystères de Bacchus, de Gérés et de Cora, à ceux du Liber de Lerna, d’Isis et de l’Hécate d’Egine. Symmaque, le dernier et le plus sincère défenseur du paganisme, est pontife de Vesta et du Soleil, Curiale d’Hercule, Isiaque et Mithriaste. Bien plus, le dernier hiérophante d’Eleusis est en même temps grand prêtre de Mithra. Tous les interlocuteurs du dialogue de Macrobe, et Ton peut dire tous les membres de la haute aristocratie romaine, ont la foi aussi large et aussi éclectique. Mais qu’attendre de la fermeté d’une foi qui admet à ce point le partage ? Entre tous ces dieux, lequel chérir d’un assez ardent amour pour lui faire le sacrifice de sa vie ? Ces formes changeantes et fuyantes de divinités, que le philosophe ramenait à un principe unique, n’enfantaient pas un dévouement qui pût aller jusqu’à la mort. C’est pourquoi le paganisme expirant ne compta que des martyrs involontaires, victimes du fanatisme populaire ou de l’intolérance du pouvoir. Au contraire, le christianisme sut se préserver de toute promiscuité et de toute altération ; il dut de vaincre à son intransigeance, qu’aucune persécution ne réussit à entamer.

Quel aliment d’ailleurs pouvaient offrir aux âmes, quelle prise durable au sentiment et à ce besoin de sacrifice, qui est le meilleur de notre nature, ces religions importées d’Orient, pourtant si supérieures par leurs facultés d’émotion à celles du passé ? Comment, pour l’adepte, se dissimuler qu’il était dupe d’une fiction ? Les pleureuses d’Adonis elles-mêmes, leur délire hystérique une fois passé, pouvaient bien aimer leur ivresse et en désirer le retour ; mais leur illusion était courte ; et un regard jeté sur l’astre rayonnant à la voûte du ciel suffisait à les rassurer sur l’aventure de leur dieu. Le taureau mithriaque, à la fois symbole des