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Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 152.djvu/597

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qu’elle adressait à Mme de Montgon, une de ses dames du palais, en lui envoyant une mèche de ses cheveux qui sont encore, à l’heure qu’il est, fixés sur la lettre, avec deux cachets, aux armes de France et de Savoie[1] :

« Faut-il aimer une ingratte ? quoy parce qu’elle est aimable ? cets une très bonne raison, mais cella ne sufit pas. Je veux quelle est le cœur pour moy tel que je le meritte, cet à dire, ma chère Mongon, estre tout a moy, ne compter que moy et lesse moy faire le reste. »

Dans ses rapports avec les femmes qui formaient sa société habituelle elle se plaisait à la familiarité, et semblait oublier les distances. Elle appelait la comtesse d’Ayen « ma sœur, » Mme de Nogaret, en qui elle avait grande confiance : « mon puits. » Quand elle se promenait avec ses dames, dans les jardins de Versailles, elle ne les précédait point de quelques pas, comme le voulait l’étiquette, et Madame le lui reproche vivement : « On ne sait plus du tout qui on est… La duchesse de Bourgogne va-t-elle se promener ? eh bien, elle donne le bras à une dame et les autres marchent à côté. On ne voit donc plus qui elle est[2]. » Avec tous et toutes, elle était bonne et facile, au dire de Saint-Simon qui lui reproche même d’avoir par cette facilité encouragé certaines usurpations. On citait d’elle certains traits d’humanité qui paraîtraient tout naturels aujourd’hui, mais qui attendrissaient alors. Un jour qu’elle revenait de Paris à Versailles, à grande allure, sa voiture, dans Sèvres, renversa un homme et le blessa grièvement. Elle descendit, fit transporter l’homme dans une maison, lui prodigua des soins, et, comme il était mourant, envoya chercher le curé. Elle ne le quitta que quand il eut fermé les yeux et arriva à Versailles en retard de deux heures, ayant failli faire attendre le Roi pour son souper.

Sûre dans les rapports, incapable d’une méchanceté et même d’une tracasserie, elle avait cependant des antipathies qu’elle ne dissimulait pas assez. Elle n’aimait pas Madame, qui le lui rendait bien, et qui se plaint continuellement dans ses lettres de la façon irrévérencieuse dont elle en usait avec elle. A l’en croire, la

  1. Nous devons la communication de cette lettre inédite, ainsi que d’un assez grand nombre d’autres dont nous nous servirons plus tard, à l’obligeance de M. le marquis de Montgon, descendant direct de celle à qui la lettre est adressée. Nous reviendrons dans une étude très prochaine sur Mme de Montgon et sur la confiance singulière qu’elle inspirait tant au duc qu’à la duchesse de Bourgogne.
  2. Correspondance de Madame, trad. Jæglé, t. II, p. 31.