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Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 152.djvu/603

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agité, il s’est démené, il a passé du tragique au doucereux ; il a essayé du pathétique, de la menace, de toutes choses enfin. Il avait pour auxiliaire le prince Napoléon ; il a trouvé des adversaires dans tous ceux, sans exception, avec lesquels il a été en rapport. Je l’ai vu deux fois chez moi, une fois chez l’Empereur. A sa première visite, nous nous étions séparés presque amicalement ; aujourd’hui, il est sorti de mon cabinet plus que mécontent. J’ai pourtant été très maître de moi pendant toute la conversation, et je n’ai opposé à ses violences, et presque à ses menaces, qu’un calme qui peut-être lui a paru dédaigneux. Il m’a dit qu’il ne lui restait qu’à partir pour Londres et à se donner à l’Angleterre. Dans un autre moment, c’était sa démission et l’Amérique en perspective d’où il publierait sa justification. L’abdication du Roi apparaissait toujours sur le second plan. Parfois enfin, il se redressait en me disant : « Nous vous entraînerons à la guerre malgré vous, » etc, etc. Je vous fais grâce du reste. Il m’a quitté en m’annonçant qu’il allait prendre les ordres de l’Empereur et qu’il partirait après, s’il y avait lieu.

« Voilà pour la teinte générale du tableau. Quant aux détails, il emporte avec lui un pro memoria dont je vous envoie, très confidentiellement et pour vous seul, copie. Il voulait absolument que je lui disse que c’était là notre ultimatum et que, si nous ne réussissions pas à l’obtenir, nous romprions. Je lui ai répondu que nous n’avions pas d’ultimatum ; que nous conservions toute notre liberté d’action ; que nos efforts tendraient à obtenir les points indiqués, mais que nous agirions selon les circonstances, sans prendre aucune espèce d’engagement.

« Je lui ai très catégoriquement expliqué que les représentans des États italiens auraient au congrès la position qu’avaient les plénipotentiaires hollandais à la Conférence de Londres en 1831, c’est-à-dire que le congrès les admettrait, tout en se réservant de délibérera cinq, s’il le jugeait à propos.

« La grande question a été le désarmement. L’Angleterre et l’Autriche en font presque une condition sine qua non. Elles entendent par le désarmement le renvoi des contingens : Cavour affirme qu’il ne déférera pas à cette injonction. Nous ferons nos efforts pour que les puissances se bornent à demander avec nous que les Autrichiens et les Sardes mettent dix lieues d’intervalle entre leurs avant-postes ; mais, jusqu’à présent, cette combinaison ne satisfait nullement l’Angleterre, l’Autriche, ni même la Prusse.