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Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 152.djvu/604

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« J’ai lu à M. de Cavour les quatre bases anglaises, mais je ne lui en ai pas donné copie. Le pro memoria que j’ai remis entre ses mains est une communication purement confidentielle. Tâchez qu’il n’en abuse pas ; car, s’il le livrait à la publicité, cela pourrait donner lieu à de grands embarras. Si M. de Cavour donnait à ce qui s’est passé ici un autre caractère, s’il cherchait à faire envisager les choses à un autre point de vue, n’hésitez pas à rectifier ses assertions. Sa dépêche à M. d’Azeglio, qui a été publiée dans tous les journaux, contient des allégations qu’il est aussi désirable de ne pas laisser passer. Il qualifie d’acte agressif l’attitude de l’Autriche ; or, vous savez que nous avons un grand intérêt à ne pas laisser abuser du mot : acte agressif. »

Ces appréciations un peu amères étaient bien justifiées, au sortir de discussions aussi passionnées. Si M. de Cavour, en voulant la guerre à tout prix, croyait bien servir la cause italienne, le comte Walewski, en conseillant la paix, croyait bien servir la cause française. La situation de la France, à ses yeux, ne laissait rien à désirer ; pourquoi la compromettre ? Nous étions si bien les arbitres, que toutes les puissances consentaient avenir délibérer solennellement sur une question qui les importunait et que la volonté seule de l’Empereur avait réellement fait naître. La fortune offrait le moyen de sortir d’une impasse périlleuse, et c’était la mettre à une rude épreuve que de faire manquer le congrès par des exigences injustifiées.

Mais peu importait au ministre piémontais l’intérêt français ; l’intérêt italien seul lui tenait à cœur, )et c’est pour le faire prévaloir qu’avant de partir, après d’infructueux efforts, il en appelait encore une fois, dans les termes suivans, aux souvenirs et aux sentimens généreux de l’Empereur.

« Sire, le sentiment de la terrible responsabilité qui pèse sur moi, et la confiance que m’inspire la bonté de Votre Majesté à mon égard, me décide à m’ouvrir sans réserve à Votre Majesté. La dernière conversation que j’ai eue hier avec le comte Walewski en présence de Votre Majesté m’a navré. Elle a changé mes doutes en certitude, et j’ai acquis la douloureuse conviction que le comte Walewski est décidé à nous perdre, à forcer le Roi à abdiquer, moi, à donner ma démission, à pousser le Piémont vers un abîme. Il paraît croire qu’il existe en Italie un parti libéral modéré en état de modifier la ligne de conduite que le Roi et son gouvernement ont tenue jusqu’ici, d’accord avec Votre Majesté,