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Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 152.djvu/606

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n’être pas placé dans une position où il serait, en quelque sorte, forcé de sanctionner la ruine de son pays et le triomphe en Italie de l’Autriche et de la révolution. Des circonstances malheureuses et imprévues ont décidé Votre Majesté, dans sa haute sagesse, à modifier les plans primitifs sans altérer le but qu’Elle a l’intention d’atteindre. Je n’ai pas hésité à reconnaître la convenance de cette détermination. J’apprécie dans toute leur étendue les difficultés immenses que Votre Majesté a rencontrées sur son chemin. Aussi je considère comme un devoir impérieux pour la Sardaigne de faire tout ce qui dépend d’elle afin d’aider Votre Majesté à les surmonter. Mais, la main sur la conscience, je crois devoir déclarer que la ligne que se propose de suivre le comte Walewski, tout en perdant la Sardaigne, ne sauvera pas la France. Il faut, pour éviter une haine commune, qu’il sorte du congrès ou la guerre ou une trêve qu’on puisse faire accepter à l’Italie. Que gagnera la France à la chute de la Sardaigne, à la désorganisation complète du parti national dans la Péninsule, qui est maintenant entièrement dévouée à Votre Majesté ?

« Elle aura transformé l’Italie en une ennemie mortelle, sans regagner l’amitié de l’Angleterre ou diminuer la haine de l’Autriche. Les puissances ont pénétré assez avant dans les projets de Votre Majesté pour pouvoir de bonne foi reprendre envers Elle leur ancienne habitude. Une défiance réciproque existera toujours entre elles, et cette défiance amènera nécessairement la guerre dans des circonstances beaucoup moins favorables que celles qui se présentent maintenant. Mieux vaut mille fois la guerre dans deux ou trois mois, avec le concours dévoué des Italiens, qu’une paix ou une trêve, qui diminuerait l’immense prestige dont elle entoure le nom de Votre Majesté. Votre Majesté comprendra par ce que je viens de lui exposer combien sont grandes les appréhensions de mon esprit. J’espère qu’Elle daignera les dissiper avant mon départ, en fixant d’une manière précise et absolue le memorandum qu’elle posera à l’Autriche.

« Sans cette pièce, je ne saurais, en vérité, comment me présenter devant le Roi, que l’incertitude de sa position tourmente et exaspère. Votre Majesté peut compter à cet égard sur le secret le plus absolu. Je lui donne ma parole d’honneur.

« Il me reste à supplier Votre Majesté de me pardonner ce que mon langage peut avoir de trop vif. Elle sera disposée à l’indulgence, si Elle considère qu’ayant gardé pour moi seul le secret