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Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 152.djvu/607

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des négociations qui ont eu lieu avec Votre Majesté, je sens le poids immense de la responsabilité qui repose sur ma tête, responsabilité qui ne m’effrayerait pas, si ma position et ma vie étaient seules engagées, mais qui devient écrasante, lorsque je pense qu’elle me rend coupable devant Dieu et devant les hommes des désastres qui menacent mon Roi et ma patrie.

« Je prie Votre Majesté d’agréer l’hommage du profond respect avec lequel je suis, de Votre Majesté, le très humble et très obéissant serviteur. »

Cette lettre mélodramatique était calculée pour impressionner une âme rêveuse et compatissante. Mais ne restait-il réellement au roi de Sardaigne d’autre alternative que d’abdiquer et à son ministre déshonoré de chercher un refuge en Amérique ? Le prince de la Tour d’Auvergne, bien placé pour être renseigné, ne laissait pas entrevoir d’aussi tragiques perspectives, ni sir James Hudson, qui jugeait au contraire que le congrès contribuerait beaucoup à apaiser les passions en Italie. Les diplomates, plus que jamais aux écoutes, furent vite instruits des scènes violentes provoquées par le conseiller de Victor-Emmanuel au quai d’Orsay et jusque dans le cabinet de l’Empereur. Dès le 30 mars, lord Malmesbury informait son envoyé à Vienne que Cavour avait tenu le langage le plus vif, le plus exalté, qu’il était allé jusqu’à déclarer « qu’il aurait la guerre en dépit de tous les congrès. » Le prince Albert, dont la plume était toujours prête à raconter un incident fâcheux pour la France, se hâtait d’écrire à son oncle, en brochant sur le tout : « Cavour refuse absolument de désarmer et quitte Paris fort irrité, menaçant de provoquer la guerre qu’on le veuille ou non. Il a empoché des promesses écrites d’appui dont il ne veut pas dégager l’Empereur, qui est dans la position la plus embarrassée. Il cède aux menaces de son cousin, qui lui demande de ne pas se déshonorer par une lâcheté, en disant qu’opposé dans l’origine à sa politique italienne, il y avait été amené par son mariage. »

Que s’était-il passé dans l’audience des Tuileries ? Cavour avait-il réussi à ébranler l’Empereur et à le ramener à ses idées ? Ou bien son éloquence s’était-elle infructueusement dépensée ? Les versions étaient contradictoires. Cavour lui-même écrivait au général La Marmora, le 29 mars : « La guerre est inévitable, nous l’aurons avant deux mois sur le Pô et sur le Rhin » (ce qui n’entrait nullement dans les intentions de Napoléon III). Lord Cowley, d’autre part, faisait savoir à Londres qu’il avait reçu du comte