Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 152.djvu/670

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

encore classique et « oratoire » à côté de celle de Chateaubriand ! Et quant à Bernardin, n’a-t-il pas déclaré un jour qu’il trouvait « trop forte » l’imagination de l’auteur d’Atala ? Même si leur influence à tous deux n’avait pas été quelque temps paralysée dans ses effets par la réaction classique des dernières années du XVIIIe siècle, on peut douter qu’à elle toute seule, elle eût été assez efficace pour renouveler dans son fond comme dans sa forme notre littérature nationale : les Rêveries sur la nature primitive de l’homme et le livre De la Littérature, voilà en effet ce que publient de purs disciples de Rousseau avant d’avoir lu le Génie du Christianisme ; mais après l’avoir lu, ils écrivent Oberman[1] et le livre De l’Allemagne ; et le romantisme peut dès lors invoquer sans réserve les noms de Senancour et de Mme de Staël.

C’est qu’un poète, — et de la grande espèce, — a passé par-là. Qu’importe qu’il n’ait pas écrit en vers ! Il fallait peut-être, pour que Lamartine fût possible, que de Voltaire à lui, trois poètes en prose ramenassent progressivement dans notre langue la poésie qui en avait été progressivement exilée : et de ces trois poètes, Rousseau, Bernardin, Chateaubriand, nul doute que le dernier ne soit, — ne disons pas, si l’on veut, le plus grand, — mais du moins le plus complet. Et d’abord voyez quelle langue toute nouvelle il parle, ce nouveau venu qui, en 1800, débutait obscurément au Mercure de France par des « extraits » sur la littérature anglaise. « Oh ! comme ils devaient être tristes, les tintemens de la cloche religieuse qui, dans le calme des nuits, appelaient les vestales aux veilles et aux prières, et se mêlaient, sous les voûtes du temple, aux derniers sons des cantiques et aux faibles bruissemens des flots lointains ! » C’est de ce style que celui qui s’intitulait déjà, mais qui n’était pas encore l’Auteur du Génie du Christianisme, réfutait les théories de Mme de Staël sur la perfectibilité. Plus tard, quand Lamartine daignera écrire en prose, il ne parlera pas autrement. Et comme l’on comprend Mme de Beaumont disant : « Le style de M. de Chateaubriand joue du clavecin sur toutes mes fibres ! » « Il a le secret des mots puissans, » disait aussi Ducis. Et c’est vrai. Aucun style, non pas même celui de Michelet, n’a

  1. Senancour s’est trop constamment et trop maladroitement défendu d’avoir jamais lu une ligne de Chateaubriand avant d’écrire Oberman, pour qu’on puisse l’en croire aisément. Puisque ses affirmations, à cet égard, n’ont même pu convaincre son dernier biographe, M. Levallois, force nous est bien de constater que René est de 1802, Oberman de 1804, — et d’en tirer quelques conséquences.