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Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 152.djvu/711

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occidentale, était-il dit dans une dépêche du 30 mars 1892 adressée à l’ambassade d’Angleterre à Paris, diffère beaucoup de celle de la France. Prenant le Sénégal pour sa base d’opérations, la France a toujours eu en vue de s’établir dans la région du haut Niger et de ses affluens ; elle a atteint son but à grands frais, par une série d’expéditions militaires. La Grande-Bretagne ne s’est occupée d’avancer ses affaires que par des entreprises commerciales, sans faire aucune concurrence aux opérations militaires de sa voisine. » La vérité, selon Mlle Kingsley, est qu’à l’exception de la Compagnie royale du Niger, l’Angleterre s’est appliquée à réduire son commerce plus qu’à le développer, et que la France s’est répandue dans l’Afrique tropicale moins par des opérations militaires que par les exploits et la diplomatie de glorieux explorateurs aussi avisés que vaillans.

Cette intrépide voyageuse a l’esprit libre, hardi, et une qualité que possèdent peu de femmes : elle est capable d’admirer ce qui lui déplaît et de rendre justice aux gens qu’elle n’aime pas. Elle déclare que les hauts faits de la France dans le Soudan occidental sont une des grandes pages de l’histoire moderne de l’Afrique, et que nous exerçons sur les indigènes une action bienfaisante, que nous les délivrons de leurs oppresseurs, que nous pacifions leurs troubles et leurs différends. Elle eut à ce sujet une vive discussion avec ses bons amis les négocians de Liverpool ; ils l’appellent leur tante et la considèrent comme une de ces parentes incommodes, qui ont souvent le parler rude et l’humeur fâcheuse. Quoi qu’aient pu lui dire ses neveux, elle s’obstine à admirer de braves gens, qui ont fait avec la même aisance, comme on l’écrivait ici même, le métier de combattans, d’explorateurs, de diplomates, d’administrateurs, d’hommes d’action toujours prêts à répondre de ce qu’ils font.

Ce qui l’intrigue dans nos entreprises africaines qu’elle déclare « extraordinairement intéressantes et même fascinantes, » c’est qu’elle y trouve ce qu’on peut appeler un élément de mystère : « Eh ! oui, dit-elle, la conduite de la France est une énigme. Il n’est pas facile de s’expliquer qu’elle ait dépensé tant d’argent et tant d’efforts sans qu’il y allât de son intérêt. On dirait un naturaliste risquant sa peau et mettant ses habits en loques à la seule fin de poursuivre un scarabée dans la brousse. Mais il y a en moi un instinct sportif, et ce sport héroïque me paraît admirable. » De son propre aveu, elle a éprouvé plus d’une fois un frisson de plaisir en apprenant que nous avions planté notre drapeau dans des vallées et sur des collines qui ne nous appartenaient point, et qu’un Anglais, friand de paysages africains, avait eu la