Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 152.djvu/794

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

C’est ainsi, qu’en lisant dans le Journal inédit de Sainte-Hélène, du général Gourgaud, qui vient de paraître ces jours derniers, l’allusion de l’empereur Napoléon (t. Ier, p. 230) aux lettres échangées en 1801 entre Louis XVIII et lui, par l’intermédiaire de l’abbé de Montesquiou, et celle au voyage fait à la même époque par la duchesse de Guiche à Paris et à la Malmaison sur le désir du comte d’Artois, on aimerait à savoir quelles furent, en ce temps-là, les pensées intimes de celui qui détenait le pouvoir en France et de ceux qui cherchaient à y rentrer. Aurait-on pu s’entendre ; le pouvait-on, même en le voulant ? Nul doute n’est possible sur le fond. A Sainte-Hélène, comme aux Tuileries, la réponse de l’Empereur à Gourgaud est la même que celle envoyée en 1801 au Comte de Lille et publiée par M. Thiers.

Elle est très nette et négative. Mais le récit du voyage de Mme de Guiche, son arrivée à Calais, où elle était attendue et fut très bien reçue par le commissaire du gouvernement, M. Maingaud, ses entretiens avec Fouché, au moment de son arrivée à Paris, et l’accueil exceptionnellement aimable qu’elle reçut, à la Malmaison, de Joséphine, dont elle nous donne la conversation, montrent qu’il y eut alors chez le Premier Consul lui-même l’intention de témoigner quelque bonne grâce au parti royaliste. En le faisant, il n’avait évidemment aucune pensée de céder tout ou partie du pouvoir qu’il avait conquis ; mais, à ce moment, il espérait désarmer, ou tout au moins diviser les anciens émigrés, en les rendant inoffensifs, s’en attacher même quelques-uns par sa bienveillance, et faciliter ainsi l’œuvre de pacification politique et religieuse qu’il avait entreprise aux applaudissemens de la France.

Le récit de la mission de la duchesse de Guiche a été consigné par elle-même dans un curieux manuscrit dont j’ai donné lecture, il y a quelques années, à la Société d’histoire diplomatique. Quelques personnes se souviennent peut-être encore de l’impression que cette lecture leur avait produite et ont ajouté qu’elle leur paraissait mériter une publicité plus étendue. Les lecteurs de la Revue verront si cette appréciation est fondée ; en tout cas, je crois que, toute question d’opinion mise de côté, ils liront avec plaisir le récit d’une jeune femme qui accomplissait un acte de courage dans un moment difficile. Je demande la permission de la leur présenter.

La duchesse de Guiche, fille de la duchesse de Polignac, l’amie de la reine Marie-Antoinette, avait émigré à Londres avec sa mère, et elle y vivait retirée dans la société du comte d’Artois avec ses trois enfans, un fils et deux filles, dont la seconde fut ma grand’mère maternelle, qui nous a laissé ce manuscrit. Son mari avait accompagné Louis XVIII à Mittau. Les portraits que nous avons d’elle nous la représentent sous des dehors séduisans. Brune, avec des yeux bleus largement