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Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 152.djvu/810

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pour l’Allemagne, afin d’aller passer quinze jours avec elle à Plombières, où elle devait aller pour sa santé ; mais je préférai m’en aller sans rien dire, parce que j’aurais eu Fouché contre moi dans une autre occasion qui pouvait me ramener à Paris, s’il avait eu la main forcée dans cette circonstance.

Enfin, le jour fixé pour mon départ arriva : c’était le vendredi 3 juillet ; mais, au lieu de partir à cinq heures du matin, ainsi qu’on me l’avait prescrit, je voulus faire des emplettes, dont j’étais chargée pour plusieurs personnes. Je voulus ensuite déjeuner, et, mes affaires se prolongeant beaucoup plus que je ne l’aurais voulu, je fus obligée de dîner, mais ce ne fut pas sans des représentations sans nombre de la part de Mme de Richelieu et de tous ceux qui étaient chez moi. Ils étaient d’autant plus fâchés de me voir retarder mon départ qu’ils savaient que depuis longtemps des gens de la police en épiaient le moment. Enfin, à trois heures après-midi, ces hommes montèrent et demandèrent à me parler. Je les fis entrer sans éprouver la moindre crainte. Je plaisantai même avec eux, je pris mon café et je proposai de leur en donnerais restaient debout sans rien dire, avec l’air et la contenance de vrais imbéciles. Je les occupai à finir mes paquets, et lorsqu’ils furent chargés, je partis, toujours accompagnée par ces mêmes hommes de la police, qui m’assurèrent que leurs ordres ne portaient que de me voir monter en voiture et sortir de Paris. Mme de Richelieu m’accompagna jusqu’à la barrière ; je n’y fus pas plutôt arrivée, que l’on m’arrêta et que l’on me conduisit au corps de garde ; mais je dois dire que ce fut avec autant de soins et de politesses que je pouvais en exiger en pareille occasion. Je pris cependant l’air le plus insolent qu’il me fut possible. L’homme principal du bureau où l’on me mena était excellent, il me dit : « Soyez tranquille, madame, votre personne sera respectée comme elle doit l’être. Nous avons seulement l’ordre de voir vos papiers cachetés. »

J’étais bien tranquille sur ce point, parce que je savais qu’on ne pourrait pas les trouver, mais j’étais au désespoir de la terreur que mon arrestation causait à Mme de Richelieu, ce qui rendait nos adieux encore plus tristes. On n’a défait ni les malles ni les portemanteaux. On n’a touché à rien, pas même aux coffres ou cassettes, ni à mon sac de nuit. On a seulement regardé dans mon écritoire et dans deux petits sacs ; l’homme principal, dont j’ai parlé plus haut, me répétait de temps en temps : « Je n’ai pas l’ordre de vous inquiéter ni de vous retenir. » Puis il ajoutait :