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Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 152.djvu/832

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détail, parce qu’il lui fait crédit et que la place lui manque pour loger une grande quantité de combustible. Il paie ainsi beaucoup plus cher et il est plus volé que les bourgeois.

Croirait-on que, sur trois ou quatre vérifications faites par les commissaires-inspecteurs des poids et mesures, à Paris, il y a une livraison frauduleuse ! Les procès-verbaux dressés par les fonctionnaires chargés de ce service ont peine à atténuer cette proportion : parmi les 700 délits annuels de ventes à faux poids, il en est encore près de 200 à la charge des fils du Cantal ou de l’Aveyron qui tiennent boutique de combustible. Quelques-uns ont imaginé, pour livrer leurs charbons, des sacs en fibres de bois qui pèsent, vides, de 5 à 6 kilos. L’administration s’est résignée d’ailleurs à n’exercer de poursuites correctionnelles que si le manquant dépasse un dixième, à moins que cette soustraction ne puisse être regardée comme habituelle chez le commerçant inculpé.

Mais comment prendre celui-ci sur le fait ? L’agent doit suivre patiemment le charbonnier jusque chez sa « pratique, » monter l’escalier derrière lui et le laisser même sonner à la porte, pour que son intention de remettre la marchandise ainsi conditionnée soit évidente, qu’il ne puisse la nier. Si le gaillard se voit « filé » dans la rue, il trouve moyen de renverser son sac ou de laisser tomber, comme par mégarde, partie du contenu près d’une bouche d’égout. Les inspecteurs étant au nombre de neuf seulement pour tout Paris, avec un ressort de deux à trois arrondissemens chacun, et le flair de leurs justiciables étant très grand, on ne peut compter, pour abolir ces manœuvres, que sur l’extension des coopératives populaires et sur les grandes maisons qui ont organisé la vente, par fractions minimes, au consommateur.

Ce n’est pas qu’il ne se soit trouvé des brebis galeuses, de haute volée, si l’on osait ainsi dire, parmi les négocians de gros. Un artifice qui a conduit son auteur devant le tribunal de la Seine consistait, pour les livraisons de 8 et 10 000 kilos, répartis sur quatre ou cinq voitures, à en dissimuler une à quelque distance, au coin de la rue voisine du domicile indiqué, pour la faire avancer au dernier moment, si le client vérifiait son compte ou, s’il négligeait ce contrôle, pouvoir la ramener toute pleine au chantier.

Un mien ami, point sot et de nature soupçonneuse, s’adressait depuis une dizaine d’années à un commerçant d’allure fort distinguée, porteur d’un gracieux nom d’oiseau, en qui il avait la