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plus entière confiance. Il constatait que chaque fourniture de 1 000 kilos de charbon remplissait très exactement 40 seaux et, comme chacun de ces seaux avait une contenance approximative de 19 litres, correspondant, pensait-il, à 25 kilos, il en concluait qu’il était servi d’une façon irréprochable et recommandait ce galant homme à tout le monde. Mais voici qu’ayant fait venir d’une autre maison des « boulets » de houille qu’on lui avait vantés, mon ami constata, non sans étonnement, — j’ai dit que c’était un personnage méthodique, — que 1 000 kilos de cet aggloméré rendaient environ 66 seaux, au lieu de 40. Il en conclut aussitôt que les boulets devaient avoir un poids spécifique beaucoup plus faible que le charbon ordinaire, puisqu’ils occupaient un volume moitié plus grand que lui.

Il ne tarda pas à être détrompé et apprit en même temps que, si la houille compacte pèse en effet 1 330 kilos au mètre cube, comme le dit la science, le charbon usuel, en morceaux de formes et de grosseurs variables, pèse 800 kilos seulement en moyenne. Dès lors un seau de 19 litres devait représenter, non pas 25 kilos, mais bien 15 seulement. Navré de cette découverte, mon naïf ami fit alors ce dont il aurait dû s’aviser plus tôt : il mit sur le plateau d’une balance le seau, d’abord plein, puis vide. Le poids du contenu était effectivement inférieur à 15 kilos, qui, multipliés par 40, égalaient 600 kilos. Ainsi, depuis dix ans et plus, il recevait régulièrement et invariablement 600 kilos au lieu de 1 000 ; il était volé de moitié. Accabler d’invectives le marchand déloyal fut le premier acte de son client indigné. Le second consista à déposer, entre les mains du procureur de la République, une plainte contre ce filou, auquel il déclara refuser le paiement de sa facture courante ; ceci à titre de première indemnité.

Le parquet, faute de preuves suffisantes, n’osa poursuivre, craignant un acquittement, et engagea mon ami à faire faire, par un tiers, une nouvelle commande de charbon, pour pincer en flagrant délit son coquin de fournisseur. Celui-ci, sans se déconcerter, réclamait pendant ce temps devant le juge de paix le règlement de son mémoire, — l’été était venu sur ces entrefaites, — obtenait sentence par défaut contre le « débiteur » en voyage, la signifiait et l’exécutait prestement, en faisant saisir par huissier le piano de son salon ; d’où supplément copieux de frais judiciaires. Puisse l’exemple de ce « battu qui a payé l’amende » profiter aux Parisiens désireux de n’être point trompés !