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Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 155.djvu/209

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se faisait plus insaisissable, ils ne savaient plus ou prendre leur revanche, lorsque l’exemple de la province de Bari, assez opulente en vignes, conduisit certains propriétaires à signifier au blé le même demi-congé qu’ils avaient, quinze ans auparavant, signifié au bétail, et à substituer à cette culture banqueroutière l’exploitation prospère du vignoble. Un archaïque blason, dont la Capitanate était fière, offrait l’image d’une montagne d’or, ceinte de quelques épis à sa base, et surplombée, tout en haut, par la fière apparition de l’archange saint Michel : sur la vaste plaine dont le mont Gargan ferme l’horizon, de larges brèches allaient être faites dans la circonvallation des épis.

C’est un grand propriétaire de Cerignole, M. Giuseppe Pavoncelli, — émergeant au-dessus de tous ses concitoyens comme un rare exemple d’initiative, — qui commença cette transformation, concurremment avec M. Maury, français d’origine, régisseur des grands domaines que possède en Pouille la famille La Rochefoucauld, et père du député actuel de Foggia. La royauté du commerce des blés, que M. Pavoncelli avait héritée de son père, devenait illusoire et sans valeur, par l’effet de la crise des grains ; mais il avait sur ses terres, depuis 1854, deux vignes de 30 hectares, l’une exploitée personnellement, l’autre affermée à un entrepreneur pour un loyer de 37 francs par hectare. Au moment de l’introduction de ces plants, qui avait coïncidé avec l’épidémie de l’oïdium, un hectare de céréales se louait une fois et demi plus cher qu’un hectare de vigne ; et la vigne n’avait longtemps été qu’une culture sacrifiée, subalterne, une sorte de plante de luxe. M. Pavoncelli décida que la Capitanate, où le prix des blés était trop avili pour assurer aux paysans le pain quotidien, deviendrait un réservoir de vin ; il mit peu de temps à faire ce miracle. Dès 1877, il livrait à la vigne 294 hectares ; année par année, il la rendit toujours plus conquérante ; et les ceps de M. Pavoncelli, en 1891, occupaient 2 191 hectares. Près de 2 400 000 francs avaient été dépensés pour métamorphoser en un vignoble la blonde Capitanate.

Cette prise de possession des campagnes par une culture nouvelle avait une allure méthodique, nous dirions presque pédagogique : M. Pavoncelli, loin d’y procéder avec un despotisme égoïste et de ne voir dans ses concitoyens que de simples instrumens maniables à merci pour un tel travail, essayait de les y intéresser, d’y associer leurs intelligences en même temps que leurs