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Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 155.djvu/210

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bras, et rêvait que sa propriété fût plus et mieux qu’une exploitation personnelle, qu’elle devînt une école de viticulture. Ces innombrables hectares furent répartis en trois portions, dont la première était administrée par M. Pavoncelli lui-même d’une façon rationnelle et destinée à servir de modèle ; la seconde était livrée à des fermiers, avec faculté de sous-louer ; la troisième était répartie entre plus de mille familles de petits paysans ; ainsi, dès le début, on employait simultanément, pour la diffusion du vignoble, les divers procédés d’exploitation des terres. C’est autour de M. Pavoncelli — don Pippino, comme on l’appelait — que se concentrait et se resserrait, toujours plus étroitement, la vie économique de la région ; il en profita pour donner à ses concitoyens une leçon nouvelle. En un temps où beaucoup de communes rurales, rebelles au progrès, gaspillaient ou dépréciaient les produits des terres par la façon rudimentaire, trop souvent négligente, dont étaient manipulés ces produits, M. Pavoncelli révéla que la prospérité d’un pays ne repose pas seulement sur le bon aloi des cultures, mais sur le bon aloi des industries agricoles auxquelles ces cultures donnent naissance, et que ce n’est point assez de multiplier la vigne, qu’il faut s’initier à bien faire le vin, et qu’il faut apprendre à le bien conserver. Sept cantines, susceptibles d’abriter 85 000 hectolitres, sortirent rapidement de terre ; certaines forêts de l’Illyrie furent mises en coupe pour procurer les milliers de tonneaux qui s’alignaient dans les gigantesques caves de M. Pavoncelli ; et plus de 600 000 francs furent affectés à cette dépense.

Don Pippino se dressait, dans cette région, comme le type inédit d’une féodalité nouvelle, ni exclusivement agricole, ni exclusivement industrielle ; il tenait entre ses mains l’existence même de la région ; ses bureaux, chaque dimanche, étaient cernés par la masse des paysans environnans qui venaient toucher leurs salaires ; la discipline économique de cette immense exploitation semblait une assurance durable contre tous les revers ; et don Pippino, qu’on n’était pas loin de considérer comme un thaumaturge puisqu’il proposait de nouveaux moyens de vivre et puisqu’on en vivait, complétait les bienfaits de son hégémonie en s’asseyant, de temps à autre, sur son banc du Parlement, et en demandant aux pouvoirs publics de prêter aide aux Pouilles, qui commençaient de s’aider elles-mêmes.

Car le spectacle de M. Pavoncelli, secouant la torpeur coutumière,