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Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 155.djvu/237

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rapidité de leurs changemens, à quels ministères nous sommes exposés ! — de faire arrêter vous, moi, qui il lui plaira, et de nous maintenir en prison aussi longtemps qu’il le voudra, sans fournir d’ailleurs aucune explication de sa conduite. En vérité, cela est trop commode ! Un tel pouvoir, accordé à un ministère de passage et souvent de hasard, a besoin d’un contrepoids que l’on ne peut trouver que dans l’opinion. Déjà le ministère précédent a fait arrêter M, Déroulède, et, ce n’est pas de cela que nous le blâmerons ; il aurait voulu faire autrement, qu’il ne l’aurait pas pu. Mais on a généralement trouvé qu’il avait tenu M. Déroulède en prison beaucoup plus longtemps qu’il ne l’aurait fallu. On a pu croire qu’il prolongeait artificiellement sa détention jusqu’au jour où son procès concorderait avec d’autres événemens propres à en détourner l’attention publique. Le procès n’a eu en effet aucune importance, et il n’avait certainement pas fallu au juge d’instruction deux mois de recherches pour préparer les révélations insignifiantes auxquelles il a abouti. Est-ce que le ministère actuel va recommencer ? Est-ce qu’il va garder plusieurs mois en prison M. Paul Déroulède et ses complices ? Est-ce qu’il va tenir au secret, non pas eux seulement, mais l’opinion elle-même ? Le ministère Dupuy n’a procédé ainsi qu’à l’égard d’un seul accusé, ce qui était déjà trop ; le ministère Waldeck-Rousseau en a arrêté une quarantaine. Si cette gradation se poursuit, que fera le ministère suivant ? Les voies lui sont ouvertes, les précédens ne lui manqueront pas ; et lorsqu’on songe aux nouvelles catégories de ministrables qu’un incompréhensible caprice a introduites dans les régions gouvernementales, l’avenir est encore moins rassurant que le présent et le passé. Il y a lieu, plus que jamais, avec les facilités que la loi donne au ministère pour satisfaire son bon plaisir, de ressusciter les mœurs des pays libres, et de secouer la torpeur d’une partie de l’opinion.

Ne fût-ce que pour ce motif, nous avouerons au gouvernement que la nouvelle du grand complot a rencontré de l’incrédulité. Ce complot n’est pas d’hier ; il date de plus loin ; ses origines sont anciennes, et ses développemens même se rapportent à une période déjà close. Dès lors, il y a lieu de s’étonner que des ministres qui avaient le même souci de la sécurité de la République que ceux de maintenant, soient passés à côté de lui sans le voir, et sans y pourvoir. Cela n’est pas naturel, et tendrait à mettre en cause non seulement la perspicacité et la vigilance, mais encore la fidélité des gouvernemens antérieurs. On arrive à l’invraisemblable ! Faut-il croire, par exemple, que M. Charles Dupuy, qui a eu en mains le même dossier que M. Waldeck-Rousseau,