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Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 155.djvu/238

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ait manqué à son devoir en ne prenant pas les mêmes mesures ? M. Dupuy ne s’est pas effrayé d’un complot dont il connaissait pourtant tous les détails. Il a refusé à M. Paul Déroulède la satisfaction d’amour-propre d’être traduit devant le même tribunal que le général Boulanger. Qu’a-t-il donc vu dans les pièces qui lui ont été soumises, et qu’il paraît avoir appréciées avec le scepticisme du bon sens ? Nous l’ignorons, nous ne pouvons faire à ce sujet que des suppositions ; mais ces suppositions ne sont pas absolument en l’air, puisqu’elles reposent sur le double fait que si un ministre a estimé qu’il y avait matière à procès, un autre a pensé le contraire. Il faut donc croire qu’au fond de ce complot ténébreux, il y avait bien quelque chose, mais quelque chose qui n’était pas très grave, et qui ne faisait pas courir un péril sérieux à nos institutions. Dans le cas contraire, M. Dupuy aurait été inexcusable. Eh bien ! donc, qu’y a-t-il ? Notre malheureux pays a été agité par tant de révolutions, et ces révolutions sont encore si récentes, que les partis vaincus rêvent toujours de prendre leur revanche contre la République, sans compter certains républicains qui rêvent sa transformation radicale. Pour ne parler que des anciens partis, on les a condamnés à rester irréconciliables par l’exil de leurs représentans, et nous n’avons nul besoin des moyens de la police, il nous suffit de connaître un peu le cœur humain et d’avoir lu l’histoire, pour être sûrs qu’il y a entre les princes exilés et leurs partisans en France un échange continuel de vues, d’espérances et d’illusions. Depuis que la République existe, et surtout depuis qu’elle a chassé les prétendans, elle a été exposée à ce genre de menaces, et elle ne s’en est pas autrement effrayée : elle a cru qu’une police attentive et vigilante suffisait à l’en préserver, sans qu’il fût nécessaire de mettre en mouvement la Haute Cour, et de donner à un pays qui a soif de repos le spectacle enfiévré d’un grand procès politique. Il y a eu toujours un complot comme aujourd’hui, et les gouvernemens antérieurs auraient pu, s’ils l’avaient voulu, en agiter l’épouvantait à un moment quelconque. Mais ils ont pensé que leur devoir était de veiller à ce que la sécurité du pays ne fût troublée d’aucune manière, surtout dans le sentiment qu’il en avait lui-même, et qui était pour lui un bienfait. C’est une grande faute que d’enlever, sans nécessité absolue, à un pays le précieux sentiment de sa sécurité, parce qu’il faut quelquefois longtemps pour le lui rendre, et qu’il peut y avoir, parmi les républicains eux-mêmes, un parti qui, après avoir eu intérêt à inspirer ces alarmes plus ou moins sincères, ait intérêt à les faire durer.

Les ministères précédens ont pu se dispenser de recourir à ces