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Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 155.djvu/257

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à des considérans révolutionnaires conformes à l’orthodoxie.

Puis les socialistes ont dû songer à sortir de l’étroite enceinte des villes. Sans les campagnes, sans les paysans, la victoire est impossible, car ceux-ci forment partout la grande majorité. Si l’on allait dire aux paysans : « Vous êtes voués à la ruine ; vos petites propriétés seront fatalement absorbées par les grosses, et notre tâche consiste à précipiter cette évolution, » les paysans recevraient à coups de fourche les gens qui leur tiendraient ce langage. Pourtant le programme du Havre, en 1880, était sévèrement communiste : il s’agissait de l’expropriation immédiate, de la mise en commun de toutes les propriétés et des moyens de production. On repoussait même la propriété communale, parce qu’elle paraissait une forme de la propriété privée... Mais bientôt la petite propriété rurale n’a pas eu, dans les réunions publiques et à la Chambre, de plus ardens défenseurs que les socialistes et même que les marxistes, tels que MM. Guesde et Deville, au grand scandale d’Engels, qui reprochait à ses amis de France, à propos du programme de Marseille (1892), « de se donner une apparence de déloyauté, en ayant l’air de promettre aux paysans ce qu’ils savent ne pouvoir tenir... Si l’on veut maintenir la petite propriété d’une manière permanente, on sacrifie les principes, on devient réactionnaire. » « En France, dit un écrivain socialiste, beaucoup de socialistes avouent qu’ils trompent les paysans, en leur tendant un programme hameçon[1], » Plus scrupuleux, les socialistes allemands, après d’interminables discussions, ont renoncé à mettre sur pied un programme agraire. Enfin le congrès international de Londres déclare que toutes les terres doivent revenir à la collectivité, mais il laisse les socialistes de chaque pays libres d’agir selon les circonstances et les transformations de l’agriculture, sans se préoccuper du dogme.

Le socialisme, surtout en France, a chaussé les sabots rustiques, il est devenu un parti à demi agraire. Il trouve un accès facile auprès des paysans, en opposant la petite propriété à la grande, en prêchant « l’impôt payé par les riches. » Cette plate-forme lui a valu de notables succès aux dernières élections.

Les socialistes enfin se recrutent dans la petite bourgeoisie, qui forme leurs principaux cadres, ils cherchent à attirer vers eux

  1. Hubert Lagardelle : La question agraire et le socialisme, p. 3 ; cité par M. G. Sorel.